Prière de Jésus

Publié le par Père Jean-Pierre

 

Prière de Jésus - Prière du Coeur

Icône du Christ Pantocrator

Christ Pantocrator
(Monastère de Chilandar,
XIIIe siècle)

La Prière de Jésus dans la Spiritualité Hésychaste

par

Archimandrite Placide Deseille

 

 

1. LES ORIGINES DE LA MÉTHODE
2. LA SOBRIÉTÉ SPIRITUELLE
ET L'INVOCATION DU NOM DE JÉSUS
3. TECHNIQUE CORPORELLE
4. CONCLUSION

Depuis une trentaine d’années, de nombreuses publications1 ont révélé aux Occidentaux une méthode de vie spirituelle familière aux chrétiens d’Orient, et dont la pièce maîtresse est l’invocation sans cesse répétée : " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! "

C’est à dessein que nous parlons de méthode de vie spirituelle : car la Prière de Jésus ne peut être considérée comme une simple oraison jaculatoire comparable à celles que la piété catholique recommande, encore que la méthode occidentale des " aspirations " puisse se rattacher au même filon traditionnel remontant aux Pères du désert. Mais la Prière de Jésus est inséparable d’une doctrine de la vie spirituelle que les chrétiens byzantins et slaves considèrent volontiers comme le coeur de l’orthodoxie : l’hésychasme2. Aussi est-il indispensable de connaître les grandes lignes de cette doctrine, si l’on veut saisir la signification et la portée de l’invocation du Nom de Jésus dans la spiritualité orthodoxe.

 

La voie hésychaste repose sur un double fondement : la doctrine de la déification de l’homme dans le Christ telle que les Pères de l’Église grecque l’ont formulée, et l’enseignement pratique des Pères du désert sur la garde du coeur et la prière continuelle.

Affrontés aux hérésies trinitaires et christologiques, les grands évêques et les théologiens de l’Orient élaborèrent une doctrine qui n’était pas purement spéculative, mais qui engageait profondément une conception du destin spirituel de l’homme. Comme ils le répéteront inlassablement face aux négateurs de la consubstantialité du Verbe ou des deux natures du Christ, si le Verbe n’est pas Dieu, l’homme ne peut être divinisé ; si une nature humaine intégrale n’a pas été unie " sans séparation ni confusion " à la nature divine dans le Christ, l’homme ne peut pas davantage être sauvé et divinisé. Divinisation que l’on concevait d’une façon extrêmement réaliste, non pas sans doute comme une union hypostatique de chaque personne humaine avec l’essence divine, mais comme une compénétration vitale de l’agir humain par l’agir incréé de Dieu, à l’instar et dans le prolongement de la déification de la nature humaine du Christ.

Les controverses christologiques, en amenant les Pères à mettre en lumière le rôle sotériologique de la chair du Christ, eurent encore deux conséquences, d’ailleurs connexes. D’une part, la pensée byzantine prit de plus en plus conscience, à l’encontre des tendances spiritualistes que le christianisme alexandrin avait héritées de l’hellénisme, que c’est tout l’homme qui est sauvé : la déification n’est pas réservée à l’âme seule, mais elle s’étend au corps lui-même, comme le manifestait la splendeur corporelle du Christ au Thabor. D’autre part, l’importance des signes sacramentels et liturgiques, qui prolongent jusqu’à nous l’action déificatrice de la chair du Christ, fut plus vivement perçue. Les catéchèses baptismales des Pères nous transmettent les premiers échos de cette mystique sacramentaire, qui demeurera une des constantes de la spiritualité orientale.

Dans les milieux monastiques primitifs, la doctrine de la déification de l’homme était présente également, mais elle y apparaissait sous un éclairage un peu différent. On mettait l’accent moins sur les fondements christologiques et sacramentaires que sur son aspect expérimental. Le saint moine, l’abba du désert, était un homme déifié, pneumatophore, à travers lequel la présence de l’Esprit dans la créature se manifestait visiblement ; dans le secret de la prière, il faisait l’expérience de cette Présence qui transfigurait son être. Mais cette expérience déifiante requérait au préalable les longs combats de l’ascèse, la garde du coeur, l’assiduité à la prière. La tentation était aisée de confondre la divinisation du chrétien par la grâce avec l’expérience mystique, voire avec ses contrefaçons subtiles ou grossières ; de méconnaître aussi la valeur irremplaçable des sacrements, dont les effets ne sont pas immédiatement perceptibles, pour ne reconnaître d’efficacité qu’à l’effort ascétique, ou à des techniques de prière favorisant une exaltation mystique de mauvais aloi. Le pas fut franchi dans les cercles monastiques touchés par l’hérésie messalienne, où l’authentique expérience de la douceur de Dieu côtoyait les plus dangereuses aberrations.

Ce fut l’oeuvre des maîtres spirituels du Ve siècle - un Marc l’Ermite et un Diadoque de Photicé notamment - de trier le bon grain parmi l’ivraie et de formuler une doctrine où l’expérience mystique authentique, discernée de ses contrefaçons imaginatives, serait reconnue comme l’épanouissement normal de la grâce baptismale, mais où la vie sacramentelle et liturgique serait placée à la base de toute l’oeuvre du salut. Marc l’Ermite écrit :

" Ceux qui ont été baptisés dans le Christ ont reçu la grâce mystiquement, mais elle opère en eux dans la mesure où ils accomplissent les commandements... Quiconque a été baptisé dans la foi orthodoxe a reçu mystiquement toute la grâce. Mais il n’en obtient la certitude qu’ensuite, en exerçant les commandements3 ".

La " certitude " (plérophoria), l’" opération " de la grâce désignent ici l’aspect expérimental de la divinisation, le goût de Dieu et des choses de Dieu ; la " pratique des commandements " est depuis Évagre le Pontique le terme technique pour désigner l’ensemble de l’effort ascétique de l’homme, la coopération de sa liberté à l’oeuvre de la grâce. Diadoque de Photicé, utilisant la distinction fréquente chez les Pères entre l’" image " et la " ressemblance " de Dieu dans l’homme, décrit ainsi les deux temps de la divinisation :

" Par le baptême de la régénération, la sainte grâce nous confère deux biens, dont l’un surpasse infiniment l’autre. Elle nous octroie immédiatement le premier ; car elle nous renouvelle dans l’eau même et fait briller tous les traits de l’âme, c’est-à-dire l’image de Dieu, en effaçant en nous toute ride du péché. Quant à l’autre, elle attend notre concours pour le produire, c’est la ressemblance. Quand donc l’intellect a commencé de goûter, dans un sentiment profond, la bonté de l’Esprit-Saint, alors nous devons savoir que la grâce commence à peindre, pour ainsi dire, la ressemblance par-dessus l’image... ainsi donc, de jour en jour, notre homme intérieur se renouvelle dans le goût de la charité, et il trouve dans la perfection de celle-ci sa plénitude4. "

 

2. LA SOBRIÉTÉ SPIRITUELLE
ET L'INVOCATION DU NOM DE JÉSUS
C’est dans le cadre de cette doctrine que la Prière de Jésus va prendre place : elle sera, pour toute la tradition hésychaste, le moyen privilégié de prendre conscience de la présence du Christ qui habite dans nos coeurs depuis le baptême ; c’est par elle que s’accomplira la " pratique des commandements ".1. LES ORIGINES DE LA MÉTHODE

Publié dans Enseignement

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