Atelier chefs de chœur, p Michel Fortounatto

Publié le par Père Jean-Pierre

 

Atelier chefs de chœur, p Michel Fortounatto

 

22 octobre 2007

 

1re conférence : La voix du choriste et l’intonation des intervalles

 

La voix du choriste doit être formée pour chanter; qu’est-ce que le chef de chœur attend d’un nouveau membre? La chorale peut-elle s’occuper de la voix ? Montrer des moyens simples comment exercer l’ouïe, la respiration, l’attention. La gamme naturelle, la rigueur d’intonation, la gestion du demi-ton et des autres intervalles. Comment ne pas détonner ?

 

En guise d’introduction, je pose la question de savoir – en quoi consiste la musique de l’Église, et quelle en est l’autorité ? Il n’existe pas de dogmes qui auraient officialisé des mélodies ou des pièces particulières. Mais il y a une tradition qui veut que tous ce qui se chante ait une approbation apparente de l’ensemble d’une Église locale, à l’échelle d’un pays, d’un monastère, d’une cathédrale. Dans son livre sur l’histoire de la musique liturgique en Russie, le professeur Gardner donne une définition pertinente. Voici ce qu’il dit. Il désigne les cinq volumes du chant à l’unisson, édités en note carrée, dont l’autorité ecclésiale a sanctionné la publication depuis 1772, comme étant l’ensemble musical officiel, canonique de l’Église russe. Ces cinq volumes se répartissent dans les cycles liturgiques: journalier, hebdomadaire, pascal, festif, et l’ensemble des hirmi de tous les canons de l’année. Ce qui les caractérise en particulier, c’est leur appartenance au système des huit tons que l’Église a consacré pour l’ordre de son chant liturgique.

 

Notons aussi l’existence de nombreuse traditions locales (régions, monastères, cathédra-les) qui ont leur propres chants, leurs variantes du Chant commun, et les utilisent avec la bénédiction de leurs chefs respectifs.

 

Après cela, il existe dans la liturgie courante un domaine contradictoire, appelé le chant ‘’usuel’’ (‘’Obikhod’’) très répandu. D’un côté ce groupe représente toutes les catégories  liturgiques requises, ce qui le rend complet, et donc apte à être considéré comme Chant officiel. D’un autre côté, c’est une collection hétéroclite de mélodies, souvent abrégées, de provenance disparate et souvent même inconnue, qui le prive de la cohérence, propre aux Chants historiques. Son aspect abrégé le prive aussi sérieusement de substance musicale, et l’oblige à se reposer sur un support harmonique artificiel consacré. Au XIXe siècle, cette collection a fait son chemin jusqu’à la Cour Impériale, où elle a été adoptée comme le chant liturgique officiel, systématiquement harmonisée, publiée et distribuée dans toute la Russie. Le ‘’Chant de la Cour’’ n’a jamais été sanctionné par le Saint Synode, et pour cette raison, le professeur Gardner le considère judicieusement ‘’semi-officiel’’, ou ‘’semi-canonique’’ (‘’полу-устав’’).

 

En outre, il existe un monde de compositions originales, étrangères au Chant, certaines splendides, d’autres, plus nombreuses, médiocres, que personne n’a jamais sanctionné.

Aucune ne peut être considérée comme canonique, ou semi-canonique, et doit être passée par le filtre de la critique spirituelle du peuple et de la hiérarchie, avant de pouvoir être chantée pendant la liturgie.

 

 

 

Dans le cours que je commence aujourd’hui, j’examinerai le travail du chef de chœur dans l’ambiance générale du ‘’Chant d’Église’’, qui comprend aussi le répertoire harmonisé de cette tradition, basé sur le Chant. Le Chant est le support musical des textes qui forment l’ensemble de la prière communautaire byzantine. Je rappelle que celle-ci, du point de vue des formes, consiste, grosso modo, de trois genres de textes de base :

les psaumes, qui en forment l’ossature appropriée à chaque office,

les prières, qui en forment les moments saillants, journaliers (‘’Daigne, Seigneur’’) et saisonniers (‘’Nous avons vu la résurrection du Christ’’), ainsi que les litanies (‘’Kyrie eleison’’) ; ajoutons ici le texte de la liturgie eucharistique,

et un grand nombre d’hymnes, stichères, tropaires, canons, etc.

Tous ces textes reposent sur un support musical – ‘’le Chant’’ et ses harmonisations.

 

Dans cette discussion, je prends comme modèle de chorale – le petit ensemble qui prévaut dans nos paroisses, dans lequel le chef de chœur peut aisément entendre, à tout moment, toutes les voix présentes, et aider le choriste éventuellement défaillant dans son port de voix. Dans la majorité des cas, les chanteurs sont loin d’être professionnels et nécessitent un apprentissage qu’ils n’ont pas eu auparavant. Le chef de chœur lui ou elle-même est souvent quelqu’un qui est sorti du rang, ayant un degré de musicalité qu’il est appelé d’assumer, bon gré mal gré, et de le développer par un apprentissage adapté. Le cours qui commence va tenter de poser les principaux jalons de ce parcours. 

 

Le chef de chœur sera à l’écoute des voix en présence, et discernera le type particulier d’oreille que possèdent ses chanteurs. Voici d’abord, deux cas d’oreille harmonique, puis deux cas d’oreille mélodique. Ces quatre cas ne sont pas ‘’étanches’’, et peuvent normalement se chevaucher.

Il y a le cas rare de gens qui sont dotés d’une oreille absolue. C’est une ouïe très précise, fondée sur une mémoire musicale sans défaut, où son porteur identifie les sons et les nomme sans l’aide d’un diapason ou de tel autre instrument de musique. Cette capacité merveilleuse peut jouer des tours à son détenteur quand, devant une partition écrite où il en identifie exactement la tonalité, on demande au chanteur de chanter dans une tonalité différente. Comme il ne peut pas se détacher de la tonalité première, donnée dans la partition, ce chanteur doit se forcer à transposer.

Il y a des gens particulièrement doués, qui entrent dans la conscience harmonique d’une pièce à plusieurs voix, et sont capables, non seulement d’entendre la position des autres voix, relative à la leur, mais aussi de les reproduire par la suite. Les chanteurs doués d’une oreille harmonique sont prisées dans les petites chorales de paroisse.

Il y a ceux, quelque peu plus nombreux, qui, en chantant, gardent la mémoire de la note initiale, quelle qu’elle soit, d’où une mélodie a débuté, et gardent en mémoire cette hauteur de son tout au long de l’exercice. Ils ont une oreille fidèle, appréciée dans le domaine oral de notre tradition.

Les cas les plus nombreux sont ceux où le chanteur reste conscient de la dernière note chantée, et se concentre sur l’intervalle qui suit. Un tel chanteur procède de chaînon en chaînon que sont les notes d’une mélodie. Il a une oreille relative et a besoin d’un entraînement constant dans l’articulation des intervalles pour chanter juste.

 

Les deux notions d’oreille harmonique et d’oreille mélodique sont à retenir, car elles seront centrales dans la discussion sur la sonorité dans une chorale.

 

La première tâche du chef de chœur, devenant éventuellement permanente, c’est de vérifier, et si nécessaire corriger, l’intonation des choristes dans ce qu’on appelle ‘’la gamme’’. Les débutants, en effet, n’ont pas toujours une notion nette de la note juste, ni de la sonorité relative des demi-tons par rapport à la sonorité des tons entiers de la gamme. Ceci est souvent du à une défaillance physiologique de l’ouïe chez le débutant de ne pas entendre ce qu’il chante, ou – à l’inverse - à une rupture entre l’oreille et la voix quand la voix n’écoute pas l’oreille.

 

A cela s’attache un problème capital de fond, à savoir: quelle gamme ? Et cela parce qu’il y a une différence de principe, pour ne pas dire – une opposition, entre la gamme tempérée et la gamme naturelle. La majeure partie de cette causerie sera dédiée à la description de la gamme naturelle, utilisée dans le chant non-accompagné, et de son articulation dans la chorale. Passons à l’analyse de ces deux gammes.

 

La gamme tempérée, que nous connaissons, est celle des instruments de musique où les touches sont pré-établies et fixes: clavecin, orgue, piano, mais aussi des bois, des cuivres, des tambours, etc. C’est la gamme où les douze demi-tons sont égaux. L’avantage de cette gamme c’est qu’elle se prête à toute tonalité voulue par le compositeur et à toute transposition de tonalité dans les instruments à touches fixes. C’est, en fait, une gamme universelle. Elle est caractérisée aussi par l’enharmonisme, dans lequel, comme on sait, le do dièse et le ré bémol, le mi dièse et le fa, etc., se confondent respectivement. L’un des monuments musicaux les plus connus, qui a fait époque, et qui porte dans son titre le caractère (bien) tempéré de sa structure, est le ‘’Clavecin bien tempéré’’ de J-S Bach. C’est sans aucun esprit critique que je contraste les deux gammes, mais c’est pour cerner au mieux le milieu dans lequel le Chant que nous pratiquons fut conçu et a évolué.

 

Le ‘’tempérament’’ est l’approximation acoustique qui permet de transposer. Ceci fut rendu possible grâce à la création des douze demi-tons égaux, que, à l’aube de l’époque moderne, les théoriciens de la gamme ont apporté à la gamme naturelle, courante à l’époque précédente du Moyen-Age. Ce fut une véritable révolution acoustique. La gamme tempérée est juste, bien sûr, mais juste approximativement.

 

En revanche, les instruments sans clavier, les cordes par exemple, et les cordes vocales en particulier, ne sont pas soumis au tempérament: ils peuvent naviguer à l’intérieur du ton et dans les limites de celui-ci et résonner juste. En effet, chaque ton, ou degré, de la gamme n’est pas un point sonore, mais une zone sonore reconnaissable, quoique infime, avec ses limites précises, au-delà desquelles le ton donné cesse d’être lui-même. Représentez-vous une colonie d’oiseaux ayant façonné chacun leurs nids sur une très longue branche d’arbre. Chaque famille a produit plusieurs oisillons qui apprennent à chanter chacun dans son nid. Les nids contiennent - soit des sopranos, soit des altos, des ténors, des barytons légers, même des basses profondes, etc. Chaque nid, quant à lui, produit collectivement une même note, distincte de celle du voisin, dans laquelle s’entendent à leur tour des infimes variantes naturelles de la note familiale. Chaque ‘’nid’’ produit ainsi une ‘’zone’’ de son, un degré. Entre les ‘’nids’’ il peut y avoir des bruits  d’autres animaux, mais ceux-ci sont étrangers à la ‘’gamme’’ des oiseaux. L’ensemble des nids dans leur progression produit une gamme. Les nids sont les degrés, des ‘’zones’’ de son, séparées par des écarts, vides de sens acoustique (c’est à dire qu’ils sonnent faux par rapport à la gamme des oiseaux). Les zones et les écarts peuvent être calculés scientifiquement en termes de fréquences des vibrations physiques qui les produisent. Ils peuvent certainement aussi être évaluées par l’oreille fine du chef de chœur averti, et celles des choristes.

 

Voici maintenant quelques caractéristiques de la gamme dite ‘’naturelle’’, et qui est associée au Chant d’Eglise. Je commencerai par son aspect harmonique, vertical. Le chef de chœur connaît très bien cet aspect, quand il ‘’donne le ton’’. On retrouve, bien sûr, cette verticalité à tout instant d’une pièce chantée, quand on s’y arrête.

 

La gamme naturelle d’Eglise n’est pas nécessairement attachée à une tonalité quelconque. En principe, la gamme est de hauteur variable, comme c’est le cas avec la ‘’corde’’ médiévale. Dans une atmosphère de tranquillité liturgique, le chef de chœur ‘’donne le ton’’ d’après la note, peut-être, arbitraire, du prêtre, du diacre, du lecteur, ou encore du psalmiste qui proclame le ‘’ton’’ de l’hymne, psaume ou prière à chanter. Et la chorale commence à chanter. D’habitude, cette ‘’note arbitraire’’ n’est pas si arbitraire que cela, car dans l’expérience il s’établit une entente entre célébrant et chorale, et tous deux chantent dans le milieu de leurs registres vocaux respectifs, souvent proches. Si ça ne se passe pas toujours ainsi, dans l’idéal ça devrait l’être. Nous en reparlerons.

 

Si on chante à l’unisson, ou si une pièce commence par un unisson, le chef de chœur, en donnant le ton pour cet unisson, veillera à ce que les chanteurs prennent la même note exactement.

 

Si la pièce est à plusieurs voix, le chef de chœur chantera l’arpège initial d’après la sonorité de la gamme naturelle, c’est à dire des degrés justes et euphoniques. Pour illustrer ce point important, voici l’identité physique des degrés de la gamme. Elle est, dans chaque cas, proportionnelle à la hauteur de la prime, la note de base. La simplicité primaire des fractions rend les intervalles parfaitement euphoniques. Lire de bas en haut:

 

octave                                :  2/1

septième mineure          :  9/5

sexte majeure     :  5/3

sexte mineure     :  8/5

quinte                                :  3/2

quarte                                :  4/3

tierce majeure    :  5/4   

tierce mineure    :  6/5

seconde majeure           :  9/8   

seconde mineure           :16/15

prime                                 :  1/1

 

Passons à l’aspect mélodique de la gamme naturelle. La chorale chante, soit à l’unisson, soit en polyphonie. Chaque voix exécute une mélodie donnée. Comment le chef de chœur doit diriger cette marche ? Comment la chorale exploitera-t-elle la flexibilité propre à la gamme naturelle ? Cette flexibilité naturelle des degrés provient de la belle propriété que possèdent les sons de la gamme d’être logés dans une zone sonore, et non pas sur un point précis, comme l’est la gamme tempérée. En général, à l’écoute, le ton entier de la gamme naturelle est plus large que son homologue de la gamme tempérée, et le demi-ton est plus étroit ; la quinte naturelle sonne plus large, et la quarte – plus étroite ; la tierce et la sexte majeures tendent à être larges, la tierce et la sexte mineures sont plus étroites.  

 

Je développerai ce sujet particulier dans une causerie prochaine.

 

NOTES:

 

Le fait que, depuis le XVIIe, et surtout au XIXe siècle, le Chant canonique se chante enveloppé d’un accompagnement harmonique élémentaire quasi obligatoire d’autres voix, ou par des harmonisations plus recherchées écrites au début du XXe, cela ne prive pas ces constructions nouvelles de leur qualité canonique, pourvu que le Chant y reste entier.

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Je voudrais conseiller aux enthousiastes de faire un apprentissage en écoutant des concerts de musique classique de quatuors à cordes. Ceux-là ne sont pas emprisonnés par la gamme tempérée.

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Sur la tranquillité liturgique: au début des années 1990, ma chorale de Londres avait trouvé un bon équilibre général, et chantait sans beaucoup détonner. Dans le souci de conserver la tranquillité liturgique dans le passage de la liturgie des catéchumènes à la liturgie des fidèles, c’est à dire - ne pas redonner un ‘’ton’’ nouveau pour le chant des chérubins, je donnais un ‘’ton’’ apparenté à celui des chérubins juste après la lecture de l’évangile : ‘’gloire à Toi, Seigneur, gloire à toi’’. Ce ‘’ton’’ se conservait à travers toutes les litanies jusqu’à la grande entrée, et la chorale plongeait dans le chant des chérubins, sans créer aucun remous sonore.

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De ma vie, par instinct ou par conviction, je ne me suis jamais servi d’un instrument à clavier, piano ou harmonium, dans une répétition chorale, pour éviter le risque de me faire influencer par la gamme tempérée, et ainsi de dérégler l’intonation ‘’naturelle’’ et flexible de la chorale, si dure à trouver.

Publié dans Enseignement

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