Temps de pentecote

Publié le par Père Jean-Pierre

LA PENTECOTE
Homélie (29 mai 1988)

Cette Pentecôte que nous vivons annuellement et que nous célébrons aujourd'hui, est un moment suprême de notre existence, dans laquelle apparaît la finalité même du calendrier liturgique tout entier orienté de la venue de Jésus vers la venue de l'Esprit. La venue de l'Esprit c'est ce pourquoi Jésus est venu. La finalité du calendrier liturgique, c'est aussi le sens profond, la substance même du mystère de l'Eucharistie dans lequel nous sommes rassemblés en ce moment. Car cette Eucharistie n'est rien d'autre que le don, la permanence et le renouvellement de l'Esprit Saint, dans notre vie, dans la vie profonde de chacun, dans notre communauté et dans le rayonnement que chacun d'entre nous et nous tous ensemble, nous sommes appelés à vivre. (...)
A cause de cet anniversaire, la réalité du mystère de l'Esprit Saint ressort plus fortement peut-être aujourd'hui dans les consciences par l'actualité, par les mass media, par toutes les rencontres oecuméniques. Rien de cela, certes, n'est à négliger. Il faut pourtant prier et espérer que cette " effervescence " que nous vivons particulièrement en cette année 1988 ne soit pas un feu de paille et que cette " découverte " pour quelques uns peut-être, du mystère, de la réalité de l'essentiel que constitue pour nous le Saint Esprit soit un acquis pour toujours, soit un passage à un autre mode de notre propre vie.
Parler de l'Esprit Saint c'est à la fois parler de l'Esprit Saint comme mystère de Dieu, mystère de la troisième personne et c'est parler de l'Esprit Saint comme celui dans lequel, par lequel et pour lequel l'homme a été créé. L'Esprit Saint est " l'Esprit du Père ", " procédant du Père ", comme le dit l'Evangile de Jean, comme le répète le symbole de foi, comme le redit aussi le chant liturgique de la Pentecôte : " Saint Immortel, Esprit Consolateur qui procèdes du Père et qui reposes dans le Fils ".
L'Esprit Saint est l'Esprit du Père, Celui qui crie en nous " Abba Père ", mais il est aussi l'Esprit du Fils sans lequel nous dit Saint Paul, nul ne peut appeler Jésus " Seigneur ". L'Esprit Saint introduit donc à ce banquet, à cette communion trinitaire que constitue l'Eucharistie.
Mais si l'Esprit Saint nous introduit à cela, c'est que l'Esprit Saint nous a été donné pour être en nous, dès le premier instant de notre existence humaine. C'est pourquoi, dans le passage de la Bible au second chapitre de la Genèse, verset 7, selon lequel Dieu crée l'homme en le modelant de la glaise, il est dit que Dieu insuffla en lui l'Esprit de vie et que l'homme devint une âme vivante. Saint Irénée aimait répéter que Dieu par " ses mains divines que sont le Fils et l'Esprit " modèle l'homme, le façonne, le crée, le constitue comme un composé d'argile et d'Esprit Saint. C'est pourquoi l'Esprit Saint, même s'il vient sur nous de l'extérieur, nous appartient. Non pas qu'il soit notre possession, non pas qu'il soit notre chose, non pas que nous puissions en disposer. Il nous appartient néanmoins, dans un autre sens, comme l'élément constitutif de la vie humaine, sans laquelle l'homme n'est pas homme, sans laquelle il est réduit à plus bas que l'humanité. C'est pourquoi, lorsque nous voulons parler de l'homme, le décrire, le définir, le chanter, le célébrer, aussi, nous devons nous souvenir que l'homme est créé à l'image de Dieu, qu'il y a cette empreinte, ce caractère, ce sceau divin caché, et souvent caché très profondément en raison du péché, mais qu'il y a aussi un souffle divin en lui, sans lequel l'homme ne pourrait ni subsister, ni chercher à réaliser sa destinée, ni reconnaître le bien et le mal, il serait un être neutre, un être quelconque, un être loin de la vie véritable. Il faut nous rappeler cela aujourd'hui lorsque l'on réfléchit tellement sur notre existence dans ce 20ème siècle et lorsque nous perdons espoir en la valeur, en la dignité de l'homme.
Il faut rappeler que l'homme est créé à l'image de Dieu, que l'homme est pénétré d'un souffle... mais d'un souffle qui nous échappe constamment... Je disais tout à l'heure que cette découverte de l'Esprit Saint, que cette " effervescence " ne doit pas être un feu de paille. Il faut dire maintenant : cet Esprit Saint qui nous est donné, Il nous échappe par tous les pores de notre être, de notre être qui est une sorte de vase percé, troué, et par lequel nous ne savons pas retenir en nous cette substance divine. Nous ne savons pas retenir en nous la présence de Dieu parce que, justement, le péché a brisé en nous notre intégrité véritable, le péché nous a éloignés de Dieu, et le péché fait que, comme le sentait le judaïsme au temps du Christ, l'Esprit est loin, l'Esprit est absent.
Tout l'Ancien Testament est une histoire de l'action de l'Esprit Saint, mais d'un Esprit Saint qui agit encore, si l'on peut parler ainsi, de l'extérieur. Il intervient , bien sûr, dans des moments choisis, cela aussi est très important. Il parle par les Prophètes. Et cette parole de l'Esprit Saint par les Prophètes signifie que toute l'histoire humaine, même marquée par la chute, par le péché et par l'oubli de Dieu est néanmoins une histoire sacrée. Si elle n'était pas une histoire sacrée, elle ne serait pas une histoire tout court. Le monde n'existerait pas. " Ote seulement l'Esprit ", dit Saint Basile, " et les puissances angéliques se désagrègent, et le monde lui-même retourne dans le néant ", répétant en cela la parole du psaume 103 " Tu ôtes ton Esprit et ils s'épuisent et ils retournent à leur poussière ".
L'Esprit Saint est bien la condition de la vie véritable. Il est à la fois l'initiateur, celui qui nous introduit, celui qui nous révèle le Nom, le Visage, la Présence de Jésus et, par Lui, du Père. Garder donc l'Esprit, c'est découvrir ce que nous sommes, comme le disait Saint Augustin : " Devenez ce que vous êtes ", devenez ce que vous êtes, des hommes pneumatophores, christophores, porteurs d'Esprit, générateurs d'Esprit. Mais le devenir signifie : dégager les sources profondes de notre être, de notre cœur, pour que selon la parole de Jésus, jaillissent des fleuves d'eau vive, s'écoulant vers la vie éternelle : " Celui qui croit en moi, de son sein, de son cœur, des flots d'eau vive jailliront ". Mais ces flots ne jaillissent pas ! Ces flots sont comprimés à l'intérieur de nous ! Notre être est brisé et il est lourd ! Il est loin de Dieu…
Par conséquent, le but unique de notre vie, pour reprendre la parole de Saint Séraphin, c'est " d'acquérir le Saint Esprit ", c'est le redécouvrir, c'est lui rendre sa véritable place, seigneuriale et royale dans notre vie. Et cela exige de notre part une ascèse véritable. Nous n'aimons pas parier de cela parce que nous représentons souvent la vie chrétienne ou l'orthodoxie, comme quelque chose de léger, de joyeux, de pascal, oubliant qu'il y a toute l'ascèse des saints, des justes, des martyrs et de chaque chrétien derrière cela.
Et je voudrais pour terminer, dire un simple mot encore : que l'ascèse ne signifie pas seulement se préparer se purifier pour recevoir le Saint Esprit.
Quand l'Esprit Saint descend en nous à l'image de la manière dont il demeurait sur Jésus dans le baptême au Jourdain - " Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer... c'est Lui, c'est Lui, l'élu de Dieu " - quand donc l'Esprit Saint descend sur nous, demeure en nous, trouve son repos en nous, lorsque nous-mêmes nous trouvons notre repos en Dieu, alors... l'ascèse n'est pas terminée. Je dirai même elle ne fait que commencer.
Parce qu'alors il faut apprendre et réapprendre à retenir constamment l'Esprit, à garder cet Esprit de paix, de joie, de silence intérieur, de prière... et combien souvent dans notre existence, nous sommes à peine sortis de l'Eglise, nous venons à peine de communier, que déjà nous retombons, déjà nous sommes pris, nous sommes saisis par le mouvement, par le tourbillon, nous sommes saisis par le rythme effréné de l'extérieur qui correspond aussi à notre propre rythme d'hommes pécheurs et d'hommes distraits, d'hommes dispersés.
Il faut donc apprendre et demander au Seigneur la grâce que ce que nous recevons dans la fête, dans la Pâque, dans la Pentecôte, dans le Dimanche, dans la communion eucharistique, dans cette rencontre chaque fois unique et renouvelée avec le Seigneur, avec la divine Trinité, eh bien que ce soit un " trésor sans prix " que nous gardions dans notre cœur. Que nous le gardions sous forme de délicatesse, sous forme de miséricorde, sous forme de vigilance, sous forme de désir de progrès spirituel, de désir de prière, sous forme d'ouverture à nos frères surtout.
Sachons que cette église qui est pour le moment un enclos aux portes fermées, va s'ouvrir et chacun de nous la quittera. Chacun de nous, rentrant dans son quotidien, dans cette vie banale et ordinaire de notre famille, de notre profession, nous devons porter, garder 'l'Esprit Saint. C'est à dire porter l'Eglise entière en nous, comme un joyau, comme un trésor sans prix. Amen.

Père Boris BOBRINSKOY Professeur à l'Institut de Théologie Orthodoxe Saint Serge à Paris

Publié dans Homélie

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