"Le Pardon"par Père Philippe Dautais

Publié le par Père Jean-Pierre

LE PARDON EST UN ACTE DE LIBERTÉ

Peut-on survivre aux blessures de l’enfance, à l’agression sans le pardon ? Peut-on être dans la paix et la joie dans une conscience de nos blessures sans le pardon ?

Le pardon est un acte de liberté qui signe une rupture avec la logique meurtrière et libère des mécanismes inconscients de répétition. Le pardon est l’attitude enseignée par le Christ pour entrer dans la vie et rompre avec la mort. Il nous a commandé de pardonner jusqu’à soixante-dix fois sept fois (Mt 18, 22) c’est-à-dire toujours. Il nous invite aussi à aimer nos ennemis : Vous avez appris ce qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis : aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux (Mt 5, 43-45).

Le pardon dont parle Jésus n’est pas psychologique, il dépasse même les forces humaines, car qui peut de ses propres forces aimer ses ennemis ? Sans le secours de la grâce cela semble impossible. Ainsi il apparaît d’emblée que l’on ne peut se disposer au pardon qu’en entrant dans la prière. Comme l’est attesté dans l’Évangile ci-dessus, le pardon s’exerce en bénissant : Bénissez ceux qui vous maudissent, et en priant : Priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent. Pardonner signifie que l’on croit plus à la prière qu’en ses propres forces, plus à l’action divine qu’aux capacités humaines. Pardonner c’est faire de chaque blessure un motif de prière considérant que sans la miséricorde de Dieu à mon égard, pourrais-je subsister ? (Ps 130, 3).

Pardonner, c’est rassembler l’ennemi, les ennemis et moi-même dans la même prière. La prière est là pour ouvrir mon coeur là où il y aurait tant de raisons de le fermer, tant de raisons de se replier sur soi. Prier, c’est renoncer à vouloir se défendre, à vouloir se faire justice, plus particulièrement c’est renoncer à la vengeance. C’est au contraire invoquer la grâce divine pour qu’elle me libère des forces inconscientes et aveugles qui sont prêtes à réagir. C’est désirer rompre avec la logique de la violence pour devenir vraiment fils du Père qui est dans les cieux.

LE PARDON SUPPOSE LA CONVERSION INTÉRIEURE

Ainsi le pardon se fonde sur l’esprit de métanoïa, de conversion intérieure, par un passage du " tout est dû " au " tout est don ". Se convertir, c’est se mettre sous le regard du Christ qui vient m’affranchir de la logique de mort et m’aide à faire de chaque épreuve une occasion de sanctification. Ce faisant l’homme transforme, par la grâce, les tendances réactionnelles ou négatives en motifs de prière. Ou il priera pour son prochain ou il le jugera. Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, dit le Christ. Dans cet esprit, un coeur prêt à pardonner est un coeur qui a conscience de sa propre vulnérabilité, de ses propres failles, de ses propres manques et qui a conscience d’être aimé jusque dans sa misère. C’est un coeur plein de compassion parce qu’il se sait pauvre. Pardonner dans ce sens, ce sera révéler à l’autre qu’il est aimé, le libérer du poids de la culpabilité et du sentiment d’être non aimable. Le pardon est la réponse que le Christ a adressé à la faiblesse humaine : Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23, 34).

Il est la réponse adressée à la logique meurtrière. Si le Christ s’est identifié à Abel, il s’est aussi identifié à Isaac et finalement à toutes les victimes : Toutes les fois que vous avez fait ces choses a l’un de ces plus petits de mes frères, c’est a moi que vous les avez faites (Mt 25, 40). Il s’est fait bouc émissaire, a accepté d’offrir librement sa vie et n’a donné qu’une seule réponse à ses bourreaux : son pardon. Le pardon exprime l’amour plus fort que la mort, fait de la victime un vainqueur : par sa mort il a fait mourir la mort et a brisé toute logique meurtrière. Il nous a rappelés à notre liberté qu’il nous invite à exercer pour sortir de l’aliénation, de l’esclavage des passions meurtrières qui agissent en nous malgré nous.

Ainsi Jésus nous a rendus libres à l’égard du destin et appelle chacun à devenir le sujet libre et responsable de sa propre histoire, affranchi des mimétismes et des répétitions mortifères. A l’homme de se décider, mieux, de se déterminer pour la vie et de rompre avec la mort par l’exercice du pardon. Celui-ci appelle la grâce, là où la haine du frère faisait obstacle.

LE PARDON SUPPOSE LA PRIÈRE

Le pardon suppose donc la prière, l’appel de la grâce. Il commence dans le coeur et dans les pensées. Face à l’offense, soit je me laisse emporter par le jugement contre l’autre, par le ressentiment ou par l’auto-justification, soit je m’ancre dans la prière pour l’autre. Ainsi les anciens proposaient de remplacer la multiplicité des pensées par une prière répétitive qui soit une invocation de la grâce divine dans le coeur de l’offenseur, par exemple : " Seigneur Jésus soit béni dans le coeur de N... ", " N " étant le prénom de la personne à qui l’on désire pardonner ou même demander pardon. Cette prière est très efficace et sanctifie en premier lieu celui qui prie. Dans la prière pour l’autre, il nous est révélé en quoi nous avons à demander pardon ou à pardonner. Il est très important de pouvoir nommer les offenses, nommer les blessures, de savoir sur quoi s’exerce le pardon. Il ne s’agit pas être naïf de l’autre ou même de lui trouver des excuses mais de l’aimer tel qu’il est. Pardonner, c’est aussi donner à l’autre la possibilité de voir sa faute et de se repentir, c’est aussi l’aider à s’accepter tel qu’il est.

Nommer les blessures de l’enfance, les accepter, autant que cela soit nécessaire, ne suffit pas. Il demeure nécessaire de leur donner du sens, de les intégrer à notre chemin de vie. L’Évangile nous invite à en faire des lieux d’offrande comme le Christ lui-même a répandu par ses blessures offertes la guérison pour l’humanité : Par ses plaies, tous sont guéris.

Les blessures qui font de nous des êtres souffrants peuvent devenir des béances par où pénètre la grâce. Elles sont des lieux extraordinaires de conversion et de croissance dans l’amour par la découverte et la reconnaissance des dons de Dieu à mon égard. Puis dans un deuxième temps, elles peuvent devenir des lieux de communion avec tous les blessés de la vie et ainsi m’introduire dans une vraie compassion rédemptrice. " Les blessures peuvent devenir des fenêtres qui t’ouvriront sur les tourments de tes frères ", a pu dire Stan Rougier.

 

 

Ainsi le pardon permet de faire de mon passée et des blessures de mon histoire, des lieux de la grâce.

LE PARDON VRAI EST UN PARDON EN VÉRITÉ

Pardon et vérité riment ensemble. La vérité est la condition de la réconciliation. Il ne peut y avoir de vraie relation s’il subsiste des non-dits, si chacun ne reconnaît pas ses fautes pour les assumer dans le repentir, c’est-à-dire dans l’amour de Dieu. Le repentir et le pardon sont liés (Lc 17, 3) et ne trouvent leur sens que dans la relation à Dieu qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive (Cf. Éz 18, 32). Le pardon n’est pas oubli mais expression d’un surcroît d’amour qui perçoit la beauté et la richesse de l’autre sans s’arrêter à l’apparaître, aux apparences. Cela suppose d’avoir un regard neuf qui ne soit pas entaché des mémoires parasites (jugements, critiques...). Pardonner c’est dire à l’autre qu’il est plus que ses fautes ou ses crimes, beaucoup plus que l’image qu’il peut avoir de lui-même.

C’est renoncer à réduire l’autre à ses manques ou à ses fautes, à l’enfermer dans un jugement, pire dans une condamnation ou dans une culpabilité qui pourraient le mener à l’endurcissement du coeur. En final, pardonner à l’autre c’est l’accepter dans sa différence, dans son altérité. Différence vécue non plus comme rivalité mais comme richesse.

L’oubli ne signifie pas le pardon mais le refoulement. Dans le même ordre l’impunité laisse triompher le mensonge et peut être un encouragement à la poursuite des violations. Si la vérité est nécessaire pour se libérer des répétitions de l’histoire, elle doit s’accompagner du pardon. Les deux sont très difficilement conciliables. Beaucoup s’y sont essayés, tel Gandhi qui a été un maître en la matière et pour qui la dimension de la vérité était centrale. D’autres s’y essaient encore, tel aujourd’hui Nelson Mandela en Afrique du Sud.

Faire la vérité est nécessaire pour que les préjudices soient bien établis mais elle doit être accompagnée du pardon pour briser le cycle infernal des rancunes destructrices. En effet, hors de l’esprit du pardon, la blessure engendre la révolte, le ressentiment, la rancune, qui vont nourrir l’esprit de vengeance, en bref la violence. Cultiver le ressentiment, c’est prendre le risque d’entrer dans la logique meurtrière du jugement, de l’accusation du frère, de la calomnie dans le secret dessein de se faire justice, de redresser les torts.

DISTINGUER LES ACTES ET LES PERSONNES

La réaction à l’offense peut entraîner une surenchère de la violence. Les anciens nous invitent dans un premier temps à un processus de désidentification : " Hais le péché mais aime le pécheur ", affirmait saint Augustin. Il s’agit bien de condamner les actes répréhensibles mais d’agir avec discernement et miséricorde vis-à-vis des personnes. Saint Isaac le Syrien ajoutait : " Ne déteste pas ton frère mais les passions qui lui font la guerre ". C’est préciser que l’ennemi n’est pas le prochain mais les passions qui couvent dans ses membres et.... dans les miens. Pour cette raison le chemin du pardon commence toujours par une conversion personnelle, il se poursuit en usant de violence contre les passions pour conquérir l’amour : Ce sont les violents qui s’emparent du Royaume (Mt 11, 12). La violence qui n’est pas au service de la conquête du Royaume s’exerce contre l’autre. Être dans la révolte contre l’autre, c’est n’avoir pas pardonné à la finitude, aux manques, à l’offense, c’est n’avoir pas accepté ma fragilité, ma pauvreté et ne pas avoir posé de regard clair sur moi, ne pas avoir vu mon propre péché. Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton oeil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’oeil de ton frère (Mt 7, 5). C’est dire combien la pratique du pardon suppose un chemin de conversion et une certaine maturité spirituelle. Son terreau est le désir du pardon. La part de l’homme est de désirer pardonner, de se disposer de tout son être. C’est Dieu qui rendra fécond ce désir par un don d’amour. Ainsi le pardon devient l’exercice de l’amour par l’ouverture à la grâce sanctifiante. Bien souvent, c’est seulement Dieu, ou le Christ, qui peut pardonner en nous.

Il nous fait découvrir que l’amour de Dieu est disponible dans notre coeur, que nous sommes aimés et que cet amour se révèle au fur et à mesure qu’on le donne. Par lui nous apprenons à devenir aimants et à nous libérer de l’aliénation enfantine par laquelle nous sommes en quête constante du regard et de l’amour du proche. La perspective se renverse. Là où j’avais soif être aimé, je découvre par l’exercice du pardon que je suis aimé de Dieu, que je ne peux aimer le proche que par l’amour que Dieu a déposé dans mon coeur. C’est en donnant et en pardonnant que je manifeste l’amour de Dieu pour l’homme. Si tu savais le don de Dieu, dit Jésus à la femme Samaritaine (Jn 4, 10). Il lui montre que lorsqu’elle a attendu être comblée dans son désir d’amour par un être limité, elle a toujours été déçue. (Elle a eu cinq maris et celui avec lequel elle vit n’est pas son mari.) Le Seigneur lui révèle que son désir d’amour ne sera comblé que par l’amour sans limites. Le Christ nous invite par la Samaritaine à puiser à la source de l’amour pour pardonner soixante-dix fois sept fois, pour établir la paix par le moyen de la miséricorde : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux (Lc 6, 36). II ne peut y avoir de paix en dehors de l’esprit de vérité et de l’esprit du pardon, en dehors d’une triple démarche de réconciliation : réconciliation avec Dieu, avec soi-même, avec le prochain. Ce qui nous ramène aux deux commandements essentiels de l’amour qui sont toute la Loi et les prophètes : Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces et ton prochain comme toi-même (Cf. Dt 6, 5 ; Mt 22, 37-40).

Dans l’exultation de découvrir une telle capacité d’amour dans le coeur et par elle d’entrer dans la liberté glorieuse des enfants de Dieu, nous pouvons faire nôtre la prière de saint François d’Assise :

Ô Seigneur, que je ne m’efforce pas tant être consolé que de consoler,
d’être compris que de comprendre,
d’être aimé que d’aimer.
Car c’est en donnant que l’on reçoit,
c’est en s’oubliant soi-même que l’on se retrouve soi-même,
c’est en pardonnant que l’on obtient le pardon,
c’est en mourant que l’on ressuscite a la vie éternelle(.http://www.pagesorthodoxes.net/guerison/pardon2.htm)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans articles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article