Dimanche de La Croix,Homélie de Mgr Joaquim Giosanu, 1994

Publié le par Père Jean-Pierre

Homélie de Mgr Joaquim Giosanu, 1994

"Devant ta Croix, nous nous prosternons ô Maître et ta Sainte Résurrection, nous la chantons !”

Ainsi chante l’Église dans ce dimanche du milieu du carême pour que la Sainte Croix nous fortifie avec sa puissance et nous donne la possibilité de nous prosterner ensuite devant la Croix du Seigneur le vendredi saint et d’arriver à travers ce vendredi saint à la splendeur du jour de la Résurrection.

Parmi les paroles de l’apôtre Paul retenons celles qu’il nous dit aujourd’hui : “Jésus a été éprouvé en tout, Lui que Dieu a établi prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisedech”. En méditant à cela nous devons nous poser la question : combien de fois, ne pensant qu’à nous-mêmes, à nos propres épreuves qui nous paraissent toujours uniques, combien de fois n’avons-nous pas ressenti un sentiment d’abandon indicible ? La souffrance et le mal nous isolent. Nous nous sentons retranchés du monde et comme coupés de Dieu. l’amertume emplit nos cœurs et la détresse nos âmes.

“Quand bien même tous t’oublieraient - répond le Seigneur - moi Je ne t’oublierais jamais”. Pour cela, le Seigneur s’est Lui-même fait sensible à nous. Lui, le Dieu au-dessus de tout, qui dans un premier acte d’amour nous a amené du néant à l’être, ému jusqu’aux entrailles par nos souffrances, et le choix mortel de notre liberté, s’est fait homme pour nous ramener à la vie, pour nous ramener à Lui. Il s’est fait semblable à nous. Il a tout partagé de nous, notre chair et ses peines, notre âme et ses angoisses, notre cœur avec ses joies mais aussi ses déchirures, nos croix en un mot. Il s’est voulu homme comme nous. Certes rien de ce qui nous frappait, de ce qui nous blessait, de ce qui nous écrasait ne Lui était étranger. Mais Il a voulu aussi que cela lui fut commun. Revêtu de notre chair, Il a tout connu de nos souffrances ; et sa nature humaine étant parfaite, Il les a souffertes comme jamais aucun de nous ne pourra les connaître, jusqu’à des clameurs et des larmes et des implorations et des supplications, nous révèle le même apôtre Paul. Ne fallait-il pas qu’Il endurât pour nous et pour notre salut toutes ces souffrances ? Il a scellé ainsi sa parfaite solidarité avec nous. Il s’est lié avec nous de la façon la plus absolue et définitive, en prenant sur Lui, jusqu’à notre propre mort pour nous entraîner avec Lui dans sa Résurrection.

Il n’y a donc pas de solitude radicale pour nous. Notre solitude, Jésus nous y a précédé, Il l’a connu au-delà de toute mesure à Gethsémani dans son agonie, alors que Pierre et les autres dormaient. Et pourtant ces grandes clameurs et supplications ne Lui étaient pas arrachées par ses propres fautes : Il n’en avait commise aucune, ayant été éprouvé en tout à l’exception du péché”. Voici l’œuvre de Jésus : n’avoir rien connu par Lui-même du péché, mais en avoir pris sur Lui tout le poids jusqu’à en être écrasé. N’ayant pas souffert pour ses péchés - Il n’en eut aucun - ce sont les nôtres qu’Il a portés et nos douleurs dont il s’est chargé. En réalité Il a été transpercé par nos infidélités, déchiré par nos fautes. Ainsi Il a voulu et su tout connaître de notre condition : épreuves, souffrances et mort. Si nos tribulations nous paraissent indicibles, que dire de sa Passion ! Si notre solitude nous parait inexprimable, quelle ne fut pas la sienne ? Lui qui a subi pour nous non seulement les souffrances et la mort, mais qui a voulu qu’elles soient pour Lui la somme de toutes les souffrances et la récapitulation de toutes les morts depuis la fermeture du Paradis jusqu’à la fin du monde.

Quelle solitude que cette solitude-là, “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” Le cri du Golghota retentira jusqu’à la fin des temps, pour atteindre dans leurs détresses les pires solitudes de ce monde qui porte sa croix, qui l’a choisie. Oui, le Dieu d’avant les siècles toujours Un avec le Père, ne cesse d’être un avec chacun de nous, avec nos croix, nos peines, nos angoisses, nos amertumes dont parle l’évangile d’aujourd’hui : “Celui qui veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa crois et me suive”.

La Croix n’est pas la solution d’un moment, la Croix est la concrétisation de l’amour de Dieu pour nous dès avant la fondation du monde. Jésus est le premier d’entre les morts, dit toujours l’apôtre. Il est l’Agneau de Dieu discerné dès avant la fondation du monde pour nous sauver par son sang, dit l’apôtre Pierre. Comme Il est l’Agneau égorgé de l’Apocalypse. Celui qui est, qui était et qui vient, est depuis toujours et pour toujours, indissociablement uni à la croix. Jésus n’a pas souffert pendant sa seule vie terrestre. On connaît le mot de Pascal : Il est en agonie jusqu’à la fin du monde. On connaît moins la réflexion si simple et si évidente d’Origène : Il a souffert pour nous avant même la Création, car s’Il n’avait pas souffert, Il ne serait pas venu. La Croix est en Dieu le signe irrécusable de son amour pour nous. Aussi la Croix de douleur est-elle une Croix de joie, une Croix de jubilation et d’action de grâce pour les siècles des siècles.

Dès lors on comprend que s’est par la Croix que Jésus exerce éternellement sur nous son ministère de Grand Prêtre miséricordieux et fidèle. Un Grand-Prêtre à la fois céleste et incarné, qui par l’offrande irremplaçable de son propre sang nous fait accéder une fois pour toutes à la vie divine.

C’est pourquoi son ministère sans équivalent comme son sacrifice, a été placé sous le signe de Melchisédech, cette figure mystérieuse qui transcende tous les ordres humains. Aucun autre ministère semblable n’a jamais, ni ne pourra jamais exister. La Croix est unique autant que Jésus est unique. La Croix est le signe de l’intercession que Jésus ne cesse d’offrir à son Père pour nous. La Croix est le paroxysme de l’amour entre Jésus et son Père, comme elle est le paroxysme de l’amour de Jésus pour nous. Elle est pour nous le sceau de l’Alliance nouvelle et éternelle acquise par notre seul Grand-Prêtre auprès de Dieu. Elle est la réalité même de notre salut.

Au sein de nos souffrances et de nos solitudes, elle s’élève comme la Croix vivifiante et consolatrice, comme la douloureuse mais très apaisante et très douce Croix. En elle nous possédons une source de vie inépuisable. Elle règne sur nous comme le signe de l’amour passionné de Dieu pour nous et de nous pour Lui. C’est pourquoi nous ne cesserons de l’exalter, de l’adorer et de la chanter : “Venons, fidèles, dans la joyeuse lumière du jeûne ; de joie et de crainte prosternons nous devant la Croix et disons : Salut précieuse Croix où s’assure le monde”

Publié dans Homélie

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