Dimanche du Pardon,Homélie prononcée à la Crypte par le Père Boris

Publié le par Père Jean-Pierre

Dimanche du Pardon


Dimanche de l'Expulsion d'Adam - Dimanche la tyrophagie - Dernier jour des laitages.

Romains XIII, 11 - XIV, 4 ;

Évangile selon saint Matthieu VI, 14-21.

Homélie prononcée à la Crypte par le Père Boris le 13 mars 1994


Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

Ce dimanche qui nous introduit dans le Grand Carême de Pâques, nous l'appelons généralement le dimanche de l'expulsion d'Adam. Nous pourrions aussi bien l'appeler le dimanche du repentir d'Adam et le dimanche du pardon d'Adam et le dimanche de la restauration d'Adam.

Adam est une personne, Adam est un symbole. Adam est aussi un nom générique de l'humanité entière qui s'est dévoyée, qui s'est éloignée de Dieu et que le Seigneur lui-même est venu rechercher. Saint Irénée de Lyon, ce grand évêque du second siècle disait - et les chants liturgiques du Samedi Saint le reprennent - que Dieu est venu chercher Adam sur la terre et que, ne l'ayant pas trouvé, il est descendu jusqu'aux enfers. C'est une des grandes idées de saint Irénée que, si Dieu est venu sauver l'homme, Il est venu pour sauver l'homme tout entier, Il est venu pour sauver chaque homme et pour sauver tous les hommes. Tous les hommes sans exception sont appelés au salut, sont appelés à la vie. Saint Irénée le dit : «  Si Adam lui-même, notre premier père, n'avait pas été sauvé, l'œuvre de Dieu n'aurait pas été complète. » C'est sur ce mystère d'Adam que je voudrais m'arrêter un moment aujourd'hui.

Fréquemment, nous éprouvons un certain ressentiment vis-à-vis d'Adam. Bien sûr, si le premier père n'avait pas chuté, s'il n'avait pas péché, nous n'en serions pas là. Mais ce ressentiment va tellement loin qu'au fond nous n'avons pas la force de pardonner à Adam quand nous voyons tout le mal, toutes les tristesses, tout le péché, toutes les souffrances, toutes ces puissances de mort qui ont saisi toute la création. Il est certain qu'humainement, il nous est difficile de surmonter ce sentiment presque viscéral de ressentiment.

L'Église voit les choses autrement. Nous avons entendu ces chants extraordinaires que nous percevons avec l'oreille intérieure, cette écoute spirituelle qui traverse les temps et l'espace.

Nous avons entendu ces lamentations d'Adam chassé du Paradis, se tenant humblement courbé jusqu'à terre et pleurant sur son propre sort et pleurant sur le Paradis perdu. Ce Paradis perdu, ce n'est pas seulement la douceur paradisiaque perdue, c'est avant tout la tristesse d'être coupé de Dieu. Adam se lamente avant tout de cette séparation du Seigneur, parce qu'en Lui est la vie, en Lui est la lumière, en Lui est la paix, en Lui est la douceur.

Adam pleurait cette séparation, plus grave, plus douloureuse que la perte de tous les bienfaits et de tous les fruits du Paradis, de sa bonne odeur et de la douceur de la brise qui le recouvrait. Alors, il était dans la joie, dans la paix, dans la gloire, mais avant tout il était en Dieu et Dieu venait dans le jardin converser avec lui à la brise du jour. C'est cela, la grande tristesse d'Adam, et c'est cela dont l'Église fait mémoire aujourd'hui. Elle fait mémoire pour Adam et elle fait mémoire pour les fils d'Adam et d'Ève qui sont appelés à entrer dans cet espace nouveau de repentance, de douceur aussi, en un regard renouvelé vis-à-vis d'Adam et vis-à-vis de tous ceux qui en portent l'héritage.

Désormais nous sommes appelés à mourir et dans ce chemin vers la mort, il y a cette dimension d'espérance et d'attente, de nostalgie aussi, nostalgie qui n'est pas seulement celle de la Bible, celle de l'Église, mais qui est inscrite au cœur même de l'humanité. Dans toutes les religions antiques et dans l'incroyance même du romantisme, il y a cette nostalgie, ce rappel, ce souvenir du Paradis perdu, c'est-à-dire l'idée que les choses n'étaient pas à l'origine comme elles le sont maintenant.

Nous sommes en marche avec Adam et avec Ève. Les Pères de l'Église ont chanté les pleurs d'Adam, son repentir et cette certitude que désormais, il est dans la lumière du Christ. C'est pourquoi, dans l'icône de la Résurrection le Seigneur, Celui que saint Paul appelle avec audace le «  Nouvel Adam », récapitule, rassemble l'humanité pécheresse tout entière en Lui. Par Sa mort, la vie, la justice et la grâce sont venues dans le monde, venues jusqu'à nous. Il est venu dans cette terre lointaine chercher le fils prodigue, venu dans la montagne prendre sur Ses épaules la brebis égarée. Jésus prend sur Lui toute notre humanité, elle qui, en face des myriades d'anges, est comme une seule brebis égarée qu'Il doit ramener à la bergerie, à la maison du Père.

Jésus-Christ descend, Il descend jusqu'à terre, Il prend notre humanité, humiliée, pécheresse, Il prend notre péché sur Lui, Il meurt par amour et mourant par amour, Il descend plus bas encore, jusqu'aux confins de l'enfer, là où aucune lumière n'a jamais pénétré. Comme le dit le psaume : «  Comment les morts te loueraient-ils ? » (Ps VI, 6) Jésus descend là d'où aucune louange ne pouvait monter vers Dieu. Jésus descend jusque-là, Il dévitalise la mort ; Il tend la main - comme nous le voyons sur l'icône - à Adam et à Ève pour les ramener jusqu'au Royaume, dans lequel ils sont déjà, dans l'attente de la Résurrection finale avec tous les Saints. Adam et Ève sont aussi des saints de l'Ancien Testament et avec les saints de tous les temps, ils sont dans l'attente de la Résurrection pour que l'humanité totale, pour que l'Adam total puisse désormais être tout entier rassemblé, récapitulé, sauvé, dans les mains du Christ. «  Quand le Fils de l'homme sera élevé de terre, il attirera tous les hommes à lui. » (Jn XII, 32) Voici le nouvel Adam, le véritable Adam qui nous attire à Lui.

Je voudrais terminer simplement par la lecture d'un poème écrit par un des grands saints de notre époque, le starets Silouane de l'Athos, qui fut canonisé en 1988 lors du millénaire du baptême de la Russie :

Adam languissait sur terre et sanglotait amèrement. La terre ne lui était pas douce, il soupirait après Dieu en clamant : «  Mon âme languit après le Seigneur et je Le cherche avec des larmes. Comment ne Le chercherais-je pas ? Quand j'étais avec Lui, mon âme était joyeuse et sereine et l'Ennemi n'avait point d'accès auprès de moi. Mais à présent l'esprit mauvais a pris pouvoir sur moi, il agite et fait souffrir mon âme. C'est pourquoi mon âme désire à en mourir le Seigneur. Mon esprit s'élance vers Dieu, rien ne peut consoler mon âme... » Ainsi se lamentait Adam, et les larmes lui coulaient de son visage sur la poitrine et jusqu'à terre et tout le désert résonnait de ses gémissements.

Le starets Silouane reprend ce chant d'Adam à son compte, et nous aussi nous disons avec lui :

«  Moi aussi, j'ai perdu la grâce, et je crie avec Adam : Sois miséricordieux envers moi, Seigneur, donne-moi un esprit d'humilité et d'amour
Ô amour du Seigneur ! celui qui t'a connu, sans se lasser te cherche jour et nuit et s'écrie : Je Te désire, Seigneur, et je Te cherche avec des larmes. Comment pourrais-je ne pas Te chercher ? Tu m'as donné de Te connaître par le Saint Esprit et cette connaissance divine entraîne mon âme à Te chercher en pleurant.

Puis de nouveau les lamentations d'Adam : «  Pourquoi ai-je offensé le Dieu que j'aime ? »

Adam marchait sur terre et pleurait à cause des maux sans nombre de son cœur, mais ses pensées étaient absorbées en Dieu. Et lorsque son corps était à bout de forces et ne pouvait plus répandre de larmes, même alors son esprit restait tendu vers Dieu, car il ne pouvait oublier le Paradis et sa beauté. Mais, plus que tout, Adam aimait Dieu, et cet amour lui donnait la force de s'élancer vers Lui.

Voilà ce que le starets Silouane pouvait entrevoir dans sa vision spirituelle, en accord profond avec l'Église. C'est pourquoi, au-delà de tout ressentiment, nous comprenons qu'Adam est aussi le premier repentant, le premier qui a pleuré son péché et qui finalement est restauré dans le Royaume de Dieu. À notre tour, nous sommes à la recherche de Dieu à travers les dédales de notre existence, tout en sachant que nous avons dans l'Église une Parole certaine, que nous avons la Parole de Dieu, que nous avons sa puissance, la grâce de l'Esprit Saint qui nous conduit à la repentance, aux pleurs, au pardon que nous devons à la fois donner et demander humblement. C'est ainsi que nous préparons notre purification, notre libération.

C'est cela le commencement de notre propre résurrection.

Amen.

Père Boris

 

Publié dans Homélie

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