Divers presse

Publié le par Père Jean-Pierre


« L’Île », une plongée au cœur de l’âme russe


Engageant son héros sur le chemin de la rédemption, Pavel Lounguine part à la découverte du trésor spirituel de l’orthodoxie

L’ÎLE
ee
de Pavel Lounguine

Film russe, 1 h 52

«
Pour dire du bien de la Russie, Pavel Lounguine a dû venir explorer l’âme orthodoxe de son peuple ! »

Cette remarque d’un spectateur, à la sortie d’une avant-première de

L’Île
, résume bien l’atmosphère du huitième film du réalisateur russe, surtout connu pour ses satires socia­les de l’ère post-communiste (lire ci­dessous) . Dans cette description de la vie d’un petit monastère du nord de la Russie à l’époque soviétique, Pavel Lounguine (prix de la mise en scène à Cannes en 1990, avec
Taxi Blues
) plonge au tréfonds de l’âme russe. Sans aucun doute, les spécialistes noteront nombre d’in­vraisemblances sur la vie monasti­que orthodoxe. Mais là n’est pas le propos de ce film magnifique qui est avant tout un portrait de la Russie spirituelle, entre prière du cœur et psaumes maintes fois remâchés.
Au centre du film, le P. Anatoli (campé par l’incroyable Piotr Ma­monov), ancien marin qui, après avoir trahi son ami pendant la Seconde Guerre mondiale pour sauver sa propre vie, s’est échoué sur une petite île où des moines l’ont recueilli. Devenu un « starets », dans la tradition de ces pères spirituels si importants dans la vie religieuse russe, le vieux moine fantasque, tout à la fois guérisseur, devin et conseiller, a acquis une réputation de sainteté. De toute la Russie so­viétique, on vient le visiter, lui de­mander conseils et prières. Mais le vieil homme, tourmenté par la faute qui l’a mené au monastère, se sent indigne de cette sainteté et sème le trouble dans son monastère.
Car le P. Anatoli est aussi un « fol en Christ » facétieux et farceur, un va­gabond de Dieu, personnage clé de l’orthodoxie russe, qui simule la folie
des hommes pour mieux symboliser celle de la vie chrétienne. «Pour le ‘‘fol’’, le renversement des valeurs morales, les jongleries du non-sens, de la déraison, manifestent une très sérieuse quête du sens »
, résume ainsi le P. Michel Evdokimov, qui leur a consacré un livre (1).
Portant la faute de sa jeunesse comme un fardeau, le P. Anatoli est en quête de rédemption. Jouant sur le thème de la culpabilité, Pavel Lounguine reprend un sujet cher à la littérature russe, de Dostoïevski à Tolstoï. Et essentiel dans la spi­ritualité orthodoxe où le pécheur n’est jamais confiné dans sa faute. C’est en bousculant son supérieur, le P. Philarète (Viktor Soukhourov), à qui il rappelle sans cesse la néces­sité de la pauvreté, en scandalisant le P. Job (inquiétant Dmitri Dioujev) par ses questions qui ramènent l’am­bitieux moine sur le chemin du sens de la foi, que le P. Anatoli finira par trouver le pardon.

NICOLAS SENÈZE

(1)
Pèlerins russes et vagabonds mystiques , Cerf, 224 p., 24 €.




L’île est avant tout un portrait de la Russie spirituelle, entre prières du cœur et psaumes maintes fois remâchés.

D.R.

 

 
 


Près de 130 000 chrétiens vivent encore en Iran. La communauté arménienne d’Ispahan, vieille de 400 ans, essaie de retenir ses jeunes tentés par l’exil

L’Iran abrite une communauté chrétienne peu connue

ISPAHAN (Iran)

De notre correspondant

L
a mariée est en retard. Il est 5 heures du soir, dans l’enceinte de l’église Sainte­Marie. Une vingtaine d’hommes et de femmes non voilées, à la mise impec­cable, prêtent à peine attention à l’appel à la prière du soir, qui bruisse des haut-parleurs des mosquées environnantes. Nous sommes sur la rive sud d’Ispahan, une ville située au centre de l’Iran, à 340 km au sud de Téhéran. Au cœur du quartier Jolfa, une bulle chrétienne dans l’Iran chiite. Aujourd’hui, on célèbre un mariage à Sainte-Marie, une adorable église arménienne, un peu surchargée : les trompes de sa coupole sont byzantines, ses fresques d’inspiration vénitienne, ses mosaïques et ses tapis persans.
La communauté chrétienne de Jolfa, de rite arménien grégorien (du nom de saint Grégoire l’Illuminateur, qui baptisa le sou­verain arménien en 301) s’est implantée ici il y a quatre cents ans. Abbas I

er
, souverain de l’Iran safavide, attachait ainsi à sa capitale ces commerçants réputés. Les jeunes du quartier se souviennent encore de l’époque, un brin my­thique, où les musulmans ne s’aventuraient pas au sud du fleuve Zâyandeh Rud, dans le quartier dévolu aux Arméniens. Aujourd’hui, le marchand de sucreries de la place Jolfa est musulman, comme l’épicier d’à côté et une bonne partie du voisinage.
«
Nous vivons en bonne intelligence , insiste le P. Tcharian, l’un des trois évêques de l’Église grégorienne d’Iran. Nous sommes intégrés de­puis des siècles et obéissons aux lois de la Répu­blique islamique . » Il rappelle les apports des Arméniens au pays : la première imprimerie d’Iran a fonctionné ici, pressant des caractères grégoriens. Son assistant notera que la commu­nauté a donné trois « martyrs », selon la termi­nologie iranienne, dans la guerre contre l’Irak (1980-1988). Ses rapports avec les croyants des autres Églises chrétiennes d’Iran (catholiques, assyro-chaldéens) sont « cordiaux ». Mais lorsqu’on demande quels genres de liens il entretient avec les protestants évangéli­ques, dont certaines communautés ac­cueillent des convertis, qui risquent la mort selon la loi islamique, le P. Tcharian bat en retraite : « Nos rapports sont protoco­laires . » À ses côtés, six autres prêtres sont établis ici. Le plus jeune a été ordonné il y a deux ans. Marié, le P. Tcharian sait qu’il ne pourra pas assumer de fonctions plus hau­tes dans son Église, comme le prescrit le code canonique de cette confession chrétienne.

Le problème insoluble d’une foi ancrée dans un territoire étroit

Depuis la révolution islamique de 1979, on estime que près de la moitié des quelque 300 000 chrétiens d’Iran, majoritairement arméniens, ont quitté le pays. La commu­nauté de Jolfa demeure comme un îlot. Les libertés que lui accorde la République islami­que – boire du vin, ne pas porter le tchador et s’autoriser décolletés et robes légères pour les femmes, danser en couples, faire du sport en groupes mixtes –, elle les savoure en vase clos. Et les 13 églises du quartier fédèrent ses activités. Elle préserve aussi jalousement ses origines ethniques: si les mariages mixtes sont possibles, «
personne n’accepte de parler à ceux qui épousent un chiite. Ils doivent quitter la communauté », explique Zaven, un jeune homme plutôt ouvert sur d’autres sujets. Sa foi reste ancrée dans ce territoire étroit, ce qui ne va pas sans poser certains problèmes.
Ainsi, le chef de chœur, qui vient réguliè­rement d’Arménie depuis quelques années, a du mal à «
faire vibrer » ses chanteurs selon le timbre d’Erevan, la capitale arménienne. Mina, une mère de famille, fait un constat similaire avec ses cousins émigrés aux États­Unis, à Glendale, une ville de la banlieue de Los Angeles accueillant une forte commu­nauté arménienne : « Ils ne me comprennent plus quand on se parle au téléphone . » Comme Zaven, les jeunes sont aussi nombreux ici à rêver à de plus grands espaces.

Pas de discriminations flagrantes mais une liberté encadrée

«
Je leur parle du Liban, explique pourtant le jeune prêtre, Isaiah, 22 ans. J’essaie de leur faire comprendre que ce n’est pas la liberté de porter certains vêtements dans la rue qui im­porte, que Dieu peut nous aider à rester ici. S’en aller, ce n’est pas une valeur en soi . » Le P. Isaiah, a été ordonné au Liban, à Antélias, l’un des deux cœurs de l’Église gré­gorienne, avec Etchmiadzine, le « Saint-Siège » arménien. Il n’est pas d’ici, pas même armé­nien, et se demande parfois pourquoi Dieu l’a envoyé si jeune en République islamique. Il s’est lancé dans l’animation d’une série d’ate­liers avec les jeunes du quartier, pour leur rappeler la solidité de leur communauté. « Ils vivent dans une culture différente, islamique, qui considère comme des péchés certains de leurs plaisirs. Nos jeunes manquent d’occa­sions de se relâcher, ils gardent leurs problèmes en eux. Ils s’écartent plus facilement de leurs valeurs . » Ces jeunes ne souffrent pourtant pas de dis­criminations flagrantes. Le culte est célébré chaque dimanche. Dans la rue, de nombreux jeunes portent ostensiblement la croix sur le torse. Ils ont des amis iraniens à la faculté ou au travail, sans heurts. Un député les représente au Majlis, le Parlement iranien. La communauté d’Ispahan dispose aussi de cinq écoles, collèges et lycées réservés, d’un département d’arménien à l’université pu­blique, de centres de catéchisme. Et dans la cour de récréation de l’école Armen, les voiles des petites filles traînent sur leurs épaules ou restent accrochés aux patères.
Les chrétiens peuvent certes être employés dans les administrations ou l’armée, mais ils ne peuvent pas espérer y occuper de très hauts postes. Selon Zaven, la plupart de ses amis souffrent de discrimination à l’embauche. Sa thèse scientifique terminée à l’université d’Ispahan, il partira aux États­Unis ou au Canada. Comme son ami Nerces, 25 ans, soudeur au chômage, qui s’envole d’ici à quinze jours pour Vienne. «
J’ai mon visa Schengen. Là-bas, il faut environ trois mois avant d’obtenir celui pour les États-Unis . » Il doit retrouver à Los Angeles son petit frère, installé depuis un an, qui travaille dans le bâtiment et qui lui a enlevé déjà quelques illusions sur le rêve américain. « Le travail sera dur, mais là-bas je serai libre de m’amuser comme je le veux.
» Plus tard, Nerces annon­cera son départ au P. Isaiah.
Ce dernier ne lui adresse pas de réprimande et lui souhaite bonne chance, mais son sou­rire est un brin désabusé. «
Je n’ai pas peur pour eux , explique-t-il. Il y a une vraie com­munauté en Amérique. Une vraie foi, on le voit par la télévision satellite. Mais ici aussi nous avons la foi et une histoire vieille de quatre cents ans qui mérite de vivre. »

LOUIS IMBERT




Nouvel An à la cathédrale Vank d’Ispahan. Les Arméniens sont en majorité présents dans les grandes villes iraniennes.

VAHID SALEMI/AP PHOTOS
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