Père Lev Gillet,méditations

Publié le par Père Jean-Pierre

PRÉSENCE DU CHRIST
I  - TA PRÉSENCE, AUJOURD'HUI
Et ils restèrent auprès de lui, ce jour-là. Jean 1, 30.
Seigneur Jésus, tu as fait à tes disciples le don permanent de ta Présence. Tu leur as dit : Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles (Mt 28,20). Ô ! si j’étais capable de vivre avec le sentiment constant de cette Présence ! ou si même, à défaut de « sentir », ma foi était assez vive pour croire toujours profondément que tu es ici avec moi et pour rendre toutes mes attitudes conformes à une telle certitude !...
Mais, Seigneur, après tant d’années, je commence à peine. Je suis si faible ! Je dois me désintoxiquer, éliminer tant de poisons ! Je voudrais, du moins, naître à ta Présence, croître en elle. C’est avec ce désir que je m’approche de toi aujourd’hui.
Tes deux premiers disciples, ayant quitté le Précurseur te suivirent en silence. Puis tu les invitas à t’accompagner : Venez et voyez. Ils allèrent donc. Ils virent où tu demeurais. Et l’Évangile dit qu’ils restèrent auprès de toi ce jour-là (cf. Jn 1,35-39). Ils ne se fixèrent pas encore en ta Présence, car nous lisons par la suite qu’ils reprirent leur travail accoutumé et que seulement plus tard ils laissèrent tout pour te suivre. Mais, ce jour-là, ils obtinrent la découverte de ta Présence. Ils en firent une première exploration, si je puis dire ainsi. Ils apprirent ce que c’est que d’être avec toi. Seigneur, je voudrais faire aujourd’hui en ce moment un essai du même genre.
Accepte, Seigneur, et bénis mon intention, qui est de passer « une journée » avec toi. Je voudrais voir si je puis, et comment je puis, vivre avec toi tout un jour. C’est une sorte de « retraite » que j’aimerais tenter, et dont tu serais, toi-même, le seul conducteur, dans le plus intime tête-à-tête. Retraite assurément bien courte, mais où je parviendrais peut-être à dégager les grandes lignes d’un itinéraire à entreprendre.
Seigneur, tu m’as accordé un précieux privilège : le temps et la possibilité matérielle de m’isoler avec toi et de te regarder, de t’écouter, sans être trop pressé par d’urgentes tâches extérieures. Quelle responsabilité j’encours, si je n’use pas au mieux de ce privilège ! D’autres sont appelés à te chercher, à te trouver, sous d’autres formes. C’est dans leur vie conjugale, dans la sollicitude pour leurs enfants qu’ils te rencontrent (et souvent avec plus de profondeur et de sacrifice que les « privilégiés »). L’expérience que je voudrais faire de ta Présence ou, plus justement, la grâce de Présence que je voudrais obtenir, est autre que la leur. Beaucoup d’aspects de ces deux expériences si diverses sont cependant les mêmes ; et, si quelques-uns de ceux ou de celles qui sont engagés dans la vie « normale » lisent ces lignes, j’espère que bien des choses dites ici ne leur sembleront pas étrangères. Quant à moi, Seigneur Jésus, puisque je suis de ceux que tu as placés hors des voies suivies par la majorité des hommes, renforce en moi la persuasion que c’est toi seul, ta personne, qui est ma fin immédiate et exclusive et que je dois, en ce moment, approcher d’une manière directe.
Et comment m’approcherai-je de toi ? Je le ferai de la manière la plus simple. Je lirai dans ton Évangile ce que tu as dit, ce que tu as fait. J’essaierai – bien simplement, je le répète – de « pénétrer d’Évangile » les actions de cette journée. Je vénère ceux qui savent plus que moi et qui agissent mieux. Mais je connais mes limites. Je n’aspirerai pas ici aux hauts sommets d’une réflexion sur la doctrine. Je n’essaierai pas ici d’approfondir les grands mystères de notre incorporation au Christ et leurs expressions ecclésiales et sacramentelles. Loin de moi d’ignorer ou peu estimer la vaste, la si riche nappe de jaillissement qui nous est ainsi offerte ! Mais, ce que je voudrais, c’est venir aujourd’hui boire à la source, telle que tout d’abord elle apparut à tes disciples. Je voudrais venir, petit, pauvre et faible, seulement pour suivre et pour servir, et pour étreindre humblement l’humble Jésus, humilis humilem.
Oui, je voudrais, au moins pendant un jour, t’étreindre, te saisir, t’« obtenir ». Je voudrais « ta Présence, aujourd’hui ». Maître, fais que ce jour, que j’essaierai de passer auprès de toi, devienne dans ma vie cette petite mesure de levain qui fait lever toute la pâte (cf. Mt 13,33).

II EN MÉMOIRE DE MOI
Faites ceci en mémoire de moi. Luc 22, 19.
Seigneur, tu as dit à tes disciples lors de la Cène : Faites ceci en mémoire de moi. Cette parole avait un sens très spécial. Elle se rapportait au pain et au vin donnés, à ton Corps brisé et à ton Sang répandu. J’oserai faire de cette parole une application élargie, mais (Dieu veuille !) non sacrilège. Sans confondre avec aucune autre action l’acte unique de ton Souper, et maintenant chaque réalité dans son ordre propre, j’aimerais étendre ces mots – Faites ceci en mémoire de moi – à tous les actes journaliers que tu fis et que nous-mêmes nous faisons. Tout ce que je fais, Seigneur, que je le fasse en mémoire de toi ! Et tout particulièrement dans cette « journée d’Évangile », dans cette « journée de Présence » où je demande que tous mes actes se conforment aux tiens.
Et, de même que, en notre renouvellement de l’acte de la Cène, il ne s’agit pas d’une simple commémoration, mais d’un mystère présent et efficace, ainsi – dans un tout autre ordre, un tout autre niveau – je prie que la « mémoire de toi » associée à nos actes les plus simples apporte pour moi, grâce à l’Esprit vivificateur, une réalité divine et évangélique, actuelle et contemporaine.
Afin de te rendre présent à toute ma vie, ou plutôt afin de me rendre ta Présence mieux perceptible, je m’unirai tout d’abord à toi dans les actions les plus communes, les plus quotidiennes. Ce que les hommes font chaque jour, ce qu’aujourd’hui je fais, tu l’as fait aussi, pendant ton existence terrestre. Tu as dormi et tu t’es éveillé. Tu t’es lavé et tu t’es vêtu. Tu as travaillé de tes mains et tu t’es reposé. Tu as lu et tu as écrit. Tu as marché sur nos chemins. Tu as pris part aux conversations des hommes. Tu as mangé et bu avec eux. Et maintenant tu me dis : « Mon enfant, fais toutes ces choses en mémoire de moi. »
Tu veux que j’établisse un rapport vivant entre chacune de ces actions, qui furent les tiennes, et ce que je fais chaque jour, quand je me lave et quand je m’habille, quand je lis et quand j’écris, quand je travaille et quand je me repose, quand je mange et quand je bois, quand je vais au milieu des hommes, quand je m’endors et quand je m’éveille. Ces mots mesurent en quelque sorte le domaine que ma recherche de ta Présence essaiera d’explorer.
Ce rapport vivant, Maître, de quelle nature est-il ? Un magnifique thème est ici offert à notre pensée. Serait-ce assez de dire que tous les actes humains du Fils de l’Homme sont à jamais les modèles de nos actes ? Ou, allant plus loin, peut-on dire que tes actes humains étaient plus que des éléments de ta propre vie ? Peut-on dire que chacun de nos actes propres a sa signification spirituelle, et sa racine, et sa puissance dans quelque acte humain correspondant, jadis accompli par toi ? Peut-on dire (comme l’ont dit certains Pères) que tu as mangé pour bénir notre nourriture, et que tu as dormi pour bénir notre sommeil, et que tu as été fatigué pour bénir notre fatigue ?
Allant plus loin encore, peut-on dire que chacun de tes actes rapportés par les Évangiles demeure, d’une certaine manière, éternellement présent et actuel, dans la mesure où les réalités humaines de ces actes se trouvaient en contact avec ta nature divine, qui transcende l’espace et le temps ? Peut-on, par suite, dire que chaque épisode évangélique relatif à ta Présence nous est aussi contemporain qu’il l’était de ceux qui y furent mêlés, et que nous pouvons, nous aussi, aujourd'hui nous y incorporer, nous y insérer, d’une manière assurément spirituelle et mystérieuse, mais, en quelque sorte aussi, physique ?
A couper : Maître, je n’entrerai pas dans ces spéculations. Je n’essaierai pas de résoudre ces problèmes. Au seuil de ce domaine, j’entends m’arrêter. Un théologien pourra aller plus avant. À lui de rechercher si, en soi, de leur nature, les épisodes évangéliques de ta vie demeurant entièrement actuels et éternels, ou s’ils appartiennent à un passé historique dont seuls survivent les effets surnaturels.
Ce que je crois fermement, Seigneur, c’est que, par don et par grâce, ton Saint-Esprit peut me rendre présents et communicables tous les actes de ta vie terrestre. Je crois que, par l’Esprit et dans l’Esprit, je puis devenir participant des épisodes de l’Évangile. Je crois que le Saint-Esprit peut ainsi écrire dans mon âme une « vie de Jésus » et me la faire vivre, selon qu’il voudra. Je crois que, surnaturellement, il y a une sorte d’osmose et de contiguïté entre les actes humains de mon Sauveur et mes propres actes. Il s’agit de m’insérer tout entier dans chacun des épisodes de la vie de Jésus-Christ et d’insérer tout entier chacun de ces épisodes dans ma propre existence.
Voilà ce que je demande que cette journée passée avec le Maître me révèle.
Avant d’entrer dans le détail, je considérerai une objection possible.
Ne serait-ce pas étrangement amoindrir et abaisser notre union avec le Christ que de l’exprimer ainsi par une adhérence aux épisodes quotidiens de l’Évangile ? Est-ce aux actes communs à Jésus et aux autres hommes que nous devons nous attacher ? Les grands actes sauveurs du Christ ne sont-ils pas l’Incarnation, et la mort sur la Croix, et la Résurrection le troisième jour, – actes qui absolument dépassent toutes les possibilités humaines ?
Oui, sans doute : la Pâque de Jérusalem a été l’acte central et la consommation du ministère de Jésus. Mais Bethléem, et Nazareth, et Génésareth ont été des préparations, des acheminements nécessaires. J’entrerai dans le mystère de Jésus par la porte étroite de la petitesse et de la simplicité. Et, à qui sait comprendre, à qui sait contempler, tout le mystère du salut – la crèche, et le Golgotha, et le Sépulcre vide – est présenté, d’une manière voilée, sous les aspects que je choisirai ici. (Il est vrai que tout choix est un appauvrissement et ne saurait exclure ou diminuer d’autres aspects.)
En mémoire de moi... Il ne s’agit certes pas d’une reproduction mécanique, d’une imitation servile des actes du Maître. De cette journée que j’aimerais passer avec toi, je ne chercherai pas à tirer un règlement ou un horaire. Ce que je demande, ce que je voudrais recevoir de ce jour, c’est une inspiration puissante, une orientation, – non une « règle de vie », mais un « style de vie ».
Extrait de Présence du Christ,
« Un Moine de l’Église d’Orient »,
Chevetogne, 1960.

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