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Publié le par Père Jean-Pierre


ENTRETIEN
>>>> Mgr Philippe Brizard, directeur général de l’Œuvre d’Orient
«Si on courbe trop l’échine, on finit par être éliminé»

Le prélat français prône une relance de l’activité religieuse au Moyen­Orient pour résister aux disciminations dont les chrétiens sont les victimes

Q
uel est l’avenir des minori­tés chrétiennes au Proche­Orient ?
Mgr PHILIPPE BRIZARD:

Le concept de minorité est pro­bablement inadéquat dans ces pays multiethniques et multire­ligieux. Le terme de « mosaïque » traduit mieux la réalité. En Syrie, par exemple, les communautés alaouite, chrétienne et druze repré­sentent chacune 10 % environ de la population, les chiites 15 %. Mani­festement, il est une recette qui a fait son temps, c’est celle de l’État multiconfessionnel. Inventée par les Français et appliquée au Liban, on voit aujourd’hui qu’elle tourne mal. La seule vraie solution, celle que réclament les chrétiens, c’est une vraie démocratie reconnais­sant la liberté religieuse, le droit de changer de religion, etc. L’idée a été promue par le parti Baas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et par des intellectuels, entre autres, chrétiens : l’État doit
dépasser les clivages religieux et accorder une seule citoyenneté. Mais pour de multiples raisons, liées à la guerre froide, aucun pays n’a poussé cette solution jusqu’au bout.
Certains ne sont-ils pas plus to­lérants que d’autres à l’égard des chrétiens ?

La Syrie ou la Jordanie: on sent parfois que le volcan gronde mais il n’y a pas d’explosion. Dans ces deux pays, le gouvernement mani­feste une plus grande neutralité re­ligieuse et a une gestion plus raison­nable de la diversité. En Jordanie,
le Parlement a tenu bon plusieurs fois contre la demande de députés fondamentalistes d’appliquer la charia. Quant à la Syrie, c’est une dictature qui tient comme un cou­vercle sur une cocotte-minute. Mais au moins, les chrétiens n’y sont pas victimes d’ostracisme. Ce qui n’est pas le cas ailleurs, en Irak bien sûr, mais aussi en Égypte, un pays qui m’inquiète beaucoup. J’ai le senti­ment que les coptes minorent leurs difficultés pour ne pas les aggraver.

La Turquie n’offre-t-elle pas un refuge à de nombreux chrétiens irakiens ?

C’est la grande supercherie. Où est la laïcité, quand le gouvernement paye la construction des mosquées, les imams et contrôle le prêche du vendredi? Les chrétiens n’y ont aucun statut, comme en témoi­gnent leurs difficultés à gérer leurs biens. Quant aux réfugiés irakiens, ils sont, dès leur arrivée, accusés d’être des révolutionnaires kurdes, et déportés pour éviter qu’ils ne se constituent en communautés.

Que peuvent faire les Églises d’Occident ?

Nous devons porter avec les chré­tiens du Proche-Orient ce qu’ils ont à vivre. Et aussi les aider matérielle­ment, financièrement. Nous avons eu récemment à Rome une réunion à ce sujet : force est de constater que l’on ne peut que parer aux situations d’urgence. Rendez-vous compte ce que c’est que d’être réfugié dans le désert de Syrie, là où ont été dépor­tés les Arméniens pendant le géno­cide! En Irak, on est au bord d’un génocide contre les chrétiens.

En attendant une amélioration durable, convient-il d’aider les chrétiens à partir ?

La meilleure solution est que cha­cun vive chez soi. Si les chrétiens viennent en Europe ou en Améri­que du Nord, il faut évidemment
les aider. Mais ils ne doivent pas se faire d’illusions: l’Occident n’est pas l’eldorado qu’ils imagi­nent, surtout que de nombreux pays ferment leurs frontières. Et puis, l’exode des chrétiens pose problème. S’ils fuient dans des pays limitrophes, il y a des chan­ces pour qu’ils retournent un jour dans leur patrie d’origine. Mais s’ils s’installent à des milliers de kilo­mètres, ils ne reviendront pas, ni leurs enfants. Or la foi catholique s’exprime dans la tradition latine, mais aussi byzantine, copte, etc. Si l’une de ces cultures meurt, c’est une catastrophe. Un appau­vrissement des cultures est un appauvrissement de la foi.
Les chrétiens du Proche-Orient doivent tout faire pour obtenir un statut dans leur pays. Si on courbe trop l’échine, on finit par être éli­miné. Si on résiste, on montre ce que l’on a dans le ventre. Regardez l’évêque de Kerkuk, Mgr Louis Sako, qui souhaite aider ses fidèles à vivre en Irak dans leur foi et en devenant des citoyens responsables : son idée est qu’ils ne doivent pas se replier sur eux-mêmes, mais relancer l’activité religieuse. Mieux vaut montrer par son attitude qu’on est là et vivant, plutôt que de se laisser partir au fil de l’eau.

RECUEILLI PAR

ANNE-BÉNÉDICTE HOFFNER

« L’État doit dépasser les clivages religieux et accorder une seule citoyenneté. »

 
 
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