Catéchèse sur l'Esprit-Saint

Publié le par Père Jean-Pierre


LA COLOMBE ET L’AGNEAU :
MÉDITATION SUR LE CHRIST
ET L’ESPRIT

par père Lev Gillet
(« Un Moine de l’Église d’Orient »)

Jean vit Jésus qui venait à lui et il dit : Voici l’Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde

(Jean 1,19).

Et Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et reposer sur lu

Jean-Baptiste est venu pour rendre témoignage. Il a été le témoin par excellence. Il l’a été de Jésus : « Il est venu porter témoignage à la Lumière » (Jn 1,7). Mais il l’a été aussi et tout autant de l’Esprit, lui qui avait été « rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère » (Lc 1,15). Le même homme qui a annoncé à ses disciples l’Agneau de Dieu a vu la Colombe descendre sur le Messie. On ne peut séparer les deux termes de ce témoignage. Jean a été le héraut de ce couple divin : la Colombe et l’Agneau. Il a été le messager du ministère conjoint de l’Esprit et du Verbe.

Ce ministère conjoint, cette action inséparable s’exercèrent dès les origines de la création. Le livre de la Genèse nous montre l’Esprit de Dieu se mouvant à la surface des eaux (Gn 1,2), c’est-à-dire du chaos primitif. Le verbe hébreu employé suggère l’image d’un oiseau qui couve. (Et, quel que soit le chaos du monde, quel que soit le chaos de notre propre âme, un puissant espoir demeure, car l’Esprit ne cesse de « couver » nos profondeurs obscures.) D’autre part, le quatrième Évangile déclare que le Verbe - la Pensée, la Parole de Dieu - était dès le commencement avec le Père et que « toutes choses ont été faites par lui » (Jn 1,3). Ainsi, dès le commencement de l’œuvre divine, celle-ci se trouvait et demeure placée sous le signe de la Colombe et de l’Agneau, l’une et l’autre étant des figures de douceur et de pureté. L’Esprit éployé sur le monde l’enveloppait de sa chaleur et de sa tendresse diffuses, tandis que le Verbe éclairait, précisait, donnait forme.

Le couple « Colombe-Agneau » nous est aussi suggéré (même si nous ne voyons pas là une prophétie formelle) par le sacrifice que Joseph et Marie offrirent lors de la présentation de Jésus au Temple. Ils pouvaient offrir, soit un agneau, soit une paire de colombes (Lv 12,8). Ils offrirent des tourterelles. C’était l’offrande du pauvre. Mais aussi il convenait que le sacrifice symbolique d’un agneau n’eût pas lieu, là où l’unique Agneau de Dieu, le véritable Agneau pascal était présent. Et l’équivalence de la Colombe et de l’Agneau se trouvait obscurément manifestée.

Ce sont là ombres et figures. Avec Jean-Baptiste, la pleine lumière se fait. Il perçoit, il exprime clairement le mystère de la Colombe et de l’Agneau. Il a « vu » l’Agneau marchant parmi les hommes sous la forme de Jésus. Et il proclame avec certitude qu’il a « vu » l’Esprit, semblable à une colombe, descendre sur le Sauveur. Ainsi se trouve esquissé l’idéal de la piété chrétienne : « voir » en même temps l’Agneau et la Colombe (et dans leur relation au Principe, qui est le Père). « Voir » : sinon par les yeux du corps, du moins par les yeux de la foi, de la prière et de l’amour. Obtenir une vision, une expérience personnelle de la distinction et de l’union de l’Agneau et de la Colombe.

Mais en sommes-nous là ?

Chez beaucoup d’entre nous, une telle expérience rencontre deux grandes difficultés.

L’une d’elles est une attitude faible, incertaine, hésitante, embarrassée - nous oserions dire : tâtonnante - à l’égard du Saint-Esprit . Nous ne dirions pas, comme disaient à Paul les fidèles d’Éphèse : « Nous n’avons même pas entendu dire qu’il y eût un Saint-Esprit » (Ac 13,2). Nous avons beaucoup entendu parler de lui. Et, à la question de Paul : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez cru ? » (Ac 19,2), nous répondrions peut-être : « Nous avons passé par les phases - même par les rites - de l’initiation chrétienne complète. » Néanmoins le Saint-Esprit nous apparaît trop comme « quelque chose » de vague. Il nous est malaisé de penser à lui comme à une personne vivante, réelle. Nous sommes toujours plus ou moins tentés de nous le représenter comme une force impersonnelle, une énergie, une puissance. Les images même par lesquelles l’Écriture nous le dépeint demeurent floues, en quelque sorte vaporeuses. II est souffle, il est flamme, il est parfum, il est onction, il est une colombe qui vole et qui se pose. Il est tout cela - et il n’est rien de tout cela. Ce ne sont là que des apparences et si fugitives ! Il demeure indéfini, insaisissable ! Quel contraste avec le Iahvé de l’Ancien Testament qui se fait voir, même au travers d’intermédiaires, et qui parle aux hommes, ou avec le Jésus de nos Évangiles ! Comment établir entre l’Esprit et nous cette relation intime où nous pourrions lui dire « tu » et où nous l’entendrions nous dire « toi » ?

Une autre difficulté, fréquente chez les âmes les plus pieuses, peut provenir de notre attachement même à la personne de Jésus. Ceux qui aiment le plus Jésus, ceux qui adhèrent à lui dans une attitude de familiarité et de tendresse, ont la crainte et jusqu’à un certain point l’impression de le perdre, ou tout au moins de le voir s’éloigner, s’ils essaient de « se tourner » vers l’Esprit. Le livre des Actes, le livre de l’Esprit-Saint, a sa propre atmosphère - la gloire de la Pentecôte, - mais ce n’est plus exactement l’atmosphère des Évangiles. Le Christ pentécostal n’est pas exactement semblable au Jésus de Galilée – quoique lui étant identique. À ceux qui ont mis le Dieu fait homme au centre de leur méditation et de leur prière, à ceux qui ont « étreint » le Christ, il n’est pas facile de s’orienter vers l’Esprit, d’atteindre la subtile rosée qui, matin et soir, mouille et imprègne, sans que l’on voie du ciel tomber aucune goutte.

Ces deux difficultés sont connexes. Leurs solutions aussi. Plus nous prendrons conscience de la « personnalité » de l’Esprit, plus nous saisirons l’intime rapport qui unit la Colombe à l’Agneau. Et, plus nous pénétrerons dans l’amour réciproque de l’Agneau et de la Colombe, plus nous verrons l’Esprit s’affirmer comme une personne. Ces certitudes sont matière de Révélation. Mais notre effort personnel peut contribuer à les éclairer. Nous pouvons obtenir cette mise en lumière (en tout état de cause très imparfaite) par l’intellect aidé de la grâce. Il est cependant d’autres voies que celles de la spéculation discursive ou de l’étude historique. La prière et l’amour, s’appliquant à la Parole révélée, ont leurs intuitions. Revenons donc à l’expérience de Jean. Essayons de contempler ce que lui-même a vu. Peut-être, dans cette contemplatio ad amorem, trouverons-nous l’issue à nos difficultés ?

Jean voit l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et s’arrêter sur Jésus. Ce trait est d’une importance fondamentale en ce qui concerne notre recherche. Le mouvement de l’Esprit - pour autant qu’il devient manifeste aux hommes - est un mouvement « vers Jésus », un mouvement orienté et dirigé vers l’Agneau. Si nous ne tenons pas fermement cette vérité première et essentielle, tout le reste en sera faussé. Nous nous trouverons fourvoyés dans l’impasse d’un dualisme, d’un parallélisme mensongers.

Dès maintenant nous devons donc, et d’une manière radicale, rejeter la chimère qui a égaré tant d’intelligences d’ailleurs nobles et pieuses. Nous voulons dire le rêve d’un « troisième règne », le règne de cet Esprit qui remplacerait Jésus, - un règne final qui succèderait au règne du Père. Il n’y a pas de règne de l’Esprit indépendant du « royaume de Dieu », qu’annonce l’Évangile et dont Jésus-Christ est le dispensateur. Le Saint-Esprit, étant plus qu’agissant, étant lui-même tout action et réalisation, constitue l’instrument de ce règne ; et l’instrument agit d’une manière si parfaite, il coïncide si étroitement avec l’œuvre que l’Esprit lui-même s’identifie au Royaume. Mais il n’en est pas le possesseur. La prière par laquelle s’ouvrent la plupart des offices du rite byzantin commence ainsi : « Roi du ciel, Consolateur, Esprit de vérité ». Oui, l’Esprit est Roi, mais sa royauté consiste à incliner ses sujets vers celui qui a dit à Pilate : « Je suis Roi » (Jn 19,37). L’action de l’Esprit, son règne invisible sur les âmes, crée et manifeste la Royauté du Verbe fait chair.

Cependant Jésus, avant la Pentecôte, n’a-t-il pas dit : « Il vous est bon que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra point à vous » (Jn 16,7) ? Jésus devait s’en aller, afin qu’à sa présence visible et trop restreinte (puisque localisée) succédât sa présence invisible et universelle. Mais c’est l’Esprit qui, après et depuis l’Ascension, nous rend Jésus présent. Et c’est Jésus qui nous envoie l’Esprit à cet effet : « Si je m’en vais, je vous l’enverrai » (Jn 16,7). Le Père envoie la Colombe sur l’Agneau, et l’Agneau envoie sur nous la Colombe, non afin que nous devions mettre la Colombe à la place de l’Agneau, mais afin que la Colombe nous « rappelle » l’Agneau. Et ici « rappeler » n’a pas le sens faible de remettre en mémoire, mais le sens fort d’appeler de nouveau et efficacement, de « faire revenir ». Le rôle de la Colombe, le ministère de l’Esprit à notre égard est de manifester l’Agneau, de nous découvrir le Christ. Lui, l’Esprit, qui est par excellence l’invisible et l’impalpable, a pour mission de nous rendre Jésus spirituellement visible et tangible.

La Colombe n’a point d’initiative indépendante et isolée. Jésus dit de l’Esprit : « Il ne parlera pas de son chef, mais il dira tout ce qu’il aura entendu... il prendra de ce qui est à moi, et il vous l’annoncera » (Jn 16,13-14). Nous reviendrons plus loin sur les « paroles de l’Esprit ». En ce moment, retenons seulement qu’il n’y a pas de révélation de l’Esprit autre que la révélation du Fils. Ce que l’Esprit nous révèle, ou plutôt celui que l’Esprit nous révèle, c’est Jésus.

La Colombe descend sur l’Agneau pour nous le montrer. Le Saint-Esprit réveille et avive en nous le souvenir de Jésus. Mais ces mots sont trop faibles. L’Esprit met Jésus devant nous. Il dresse devant nous l’image, la Personne du Sauveur. Il est l’écho de la Parole. Il est le résonateur, l’amplificateur du Verbe de Dieu.

Et comme, nous-mêmes, nous ne savons pas écouter Jésus, l’Esprit « vient en aide à notre faiblesse » (Rm 8,26). Comme nous ne savons pas « prier comme il faut », lui-même substitue à nos balbutiements ses propres soupirs, ses « gémissements ineffables » (Rm 8,26). Il est la source et la force de toutes nos aspirations vers Jésus. Paul le déclare : « Aucun homme ne peut dire que Jésus est le Seigneur, si ce n’est par le Saint-Esprit » (1 Co 12,3). Il se met en quelque sorte à notre place. Il prend même notre place. C’est lui qui nous fait dire « je », lorsque nous nous adressons à Jésus comme à un « toi ».

On pourrait - mais sans trop presser ces termes philosophiques - dire que l’Esprit, en tant qu’il s’identifie à nous, d’ailleurs sans confusion de nature, se fait le sujet de notre vie de chrétien, le sujet qui désire et aspire, alors que Jésus en est l’objet, le modèle, le but vers lequel nous tendons immédiatement (la fin suprême étant le Père).

Est-ce à dire que Jésus nous soit plus extérieur que l’Esprit ? Est-ce à dire que l’Esprit nous soit plus intérieur que Jésus ? Non, Jésus et l’Esprit, tout en demeurant transcendants par rapport à nous, nous sont également intérieurs et intimes. Mais il y a diverses intériorités. D’une part, Saint Paul nous dit : « Vous êtes le Corps du Christ, et vous êtes ses membres » (1 Co 12,27). D’autre part, il nous dit aussi : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous ? » (1 Co 6,19). C’est parce que chacun de nous, individuellement, est le temple du Saint-Esprit que, collectivement, nous formons tous le Corps du Christ. L’Écriture emploie d’une manière à peu près équivalente les deux expressions « dans le Christ » et « dans l’Esprit ». Souvent on semble « approprier » notre immanence en Dieu à l’Esprit plutôt qu’au Christ et l’instrumentalité au Christ plutôt qu’à l’Esprit. On pense et l’on dit alors : « par le Christ, dans l’Esprit ». La formule, en un sens, est très juste. Mais il serait peut-être encore plus juste, si l’on admet les équations (d’ailleurs bien grossières) : « L’Esprit est le sujet, le Fils est l’objet », de dire que, par l’Esprit, nous sommes dans le Christ.

Extrait du livre La Colombe et l’Agneau,
« Un Moine de l’Église d’Orient »,
Éditions de Chevetogne, 1979.

(Jean 1, 32).

Publié dans Méditations

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