P. Schmemann : Dimanche du Pardon

Publié le par Père Jean-Pierre

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Dans l'Église Orthodoxe, le dernier dimanche avant le Grand Carême – jour où lors des Vêpres, on annonce et inaugure officiellement le Carême – ce dimanche est appelé Dimanche du Pardon. Le matin de ce dimanche-là, durant la Divine Liturgie, nous entendons les paroles du Christ :

"Car, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste aussi vous les pardonnera; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus" (Mt 6,14-15).

Ensuite après les Vêpres – après y avoir entendu l'annonce du Carême dans le Grand Prokimenon : "Ne détourne pas Ta Face de Ton serviteur, car je suis dans l'affliction; hâte-Toi de m'exaucer * Prête attention à mon âme et délivre-la!" (Ps 68,18-19), après avoir fait notre entrée dans la liturgie du Grand Carême, avec ses commémorations spéciales, avec la prière de saint Ephrem le Syrien, avec ses prosternations – nous nous demandons pardons les uns les autres, nous accomplissons le rite du pardon et de la réconciliation. Et pendant que nous nous adressons les uns les autres les paroles de réconciliation, le choeur entonne les hymnes de Pâques, remplissant l'église de l'anticipation de la joie Pascale.

Quelle est la signification de ce rite? Pourquoi est-ce que l'Église veut que nous commencions la période du Carême par le pardon et la réconciliation? Ces questions ont du sens, parce que pour beaucoup trop de gens, le Grand Carême signifie principalement, et quasiment exclusivement, un changement de régime alimentaire, la conformité avec les règles ecclésiales concernant le jeûne. Ils comprennent le jeûne comme une fin en soi, comme une "bonne action" requise de la part de Dieu et portant en elle-même son mérite et sa récompense. Mais l'Église n'épargne aucun effort pour nous révéler que jeûner n'est qu'un moyen, un parmi beaucoup d'autres, pour parvenir à un but bien plus élevé : le renouvellement spirituel de l'homme, son retour à Dieu, la véritable repentance, et dès lors, la véritable réconciliation. L'Église déploie tous les efforts possibles pour nous mettre en garde contre un jeûne hypocrite et pharisaïque, contre la réduction de la religion à quelques simples obligations externes. Comme le dit une hymne de Carême :

"En vain te réjouis-tu à ne pas manger, Ô âme!
Car tu t'abstiens de nourriture,
Mais n'es pas purifiée des passions.
Si tu persévère dans le péché, tu auras jeûné pour rien."

Le pardon se trouve au centre même de la Foi Chrétienne et de la vie Chrétienne parce que le Christianisme lui-même est, par dessus tout, la "religion" du pardon. Dieu nous pardonne, et Son pardon est en Christ, Son Fils, Qu'Il nous envoie, afin qu'en partageant Son humanité, nous puissions partager Son amour et être vraiment réconciliés avec Dieu. En effet, le Christianisme n'a pas d'autre contenu que l'amour. Et c'est en premier lieu le renouvellement de cet amour, le retour à cet amour, la croissance en cet amour, que nous recherchons dans le Grand Carême, en jeûnant et priant, dans tout l'esprit et tout l'effort de cette période. C'est donc de manière appropriée que le pardon est à la fois le commencement et la condition même pour la période du Carême.

L'on pourrait objecter : pourquoi devrais-je accomplir ce rite, alors que je n'ai pas "d'ennemis"? Pourquoi devrais-je demander pardon à des gens qui ne m'ont rien fait et que je ne connais qu'à peine? Poser ces questions, c'est méconnaître l'enseignement Orthodoxe au sujet du pardon. Il est vrai que l'inimitié ouverte, la haine personnelle, la réelle animosité peuvent être absents de notre vie, quoique si nous en faisions l'expérience, il nous serait plus facile de nous repentir, car ces sentiments contredisent ouvertement les divins Commandements. Mais l'Église nous révèle qu'il y a des manières bien plus subtiles d'offenser l'Amour Divin. C'est l'indifférence, l'égoïsme, le manque d'intérêt pour autrui, du vrai souci pour eux – en bref, ce mur que nous érigeons habituellement autour de nous-mêmes, pensant qu'étant "polis" et "amicaux", nous accomplissons les Commandements de Dieu. Le rite du pardon est si important précisément parce qu'il nous fait prendre conscience – fut-ce au moins une minute durant – que toute notre relation à autrui est faussée, il nous fait expérimenter cette rencontre d'un enfant de Dieu avec un autre, d'une personne créée par Dieu avec une autre, il nous fait ressentir la "reconnaissance" mutuelle qui manque si terriblement dans notre monde froid et déshumanisé.

En ce soir unique, tout en écoutant les joyeuses hymnes Pascales, nous sommes appelés à faire une découverte spirituelle : goûter à un autre mode de vie et de relation à autrui, à une vie dont l'essence c'est l'amour. Nous pouvons découvrir que partout et toujours, Amour Divin Incarné, le Christ Se tient au milieu de nous, transformant notre aliénation mutuelle en fraternité. En m'avançant vers l'autre, alors que l'autre vient vers moi – nous commençons à réaliser que c'est le Christ Qui nous amène l'un vers l'autre, par Son amour pour chacun d'entre nous.

Et parce que nous faisons cette découverte – et parce que cette découverte est celle du Royaume de Dieu en lui-même, le Royaume de Paix et d'Amour, de réconciliation avec Dieu et, en Lui, avec tout ce qui existe – nous entendons les hymnes de cette Fête, qui une fois par an "nous ouvrent les portes du Paradis." Nous savons pourquoi nous allons jeûner et prier, nous savons ce que nous allons chercher durant ce long pèlerinage du Grand Carême. Le dimanche du Pardon: le jour où nous acquérons le pouvoir pour accomplir notre jeûne – le véritable jeûne; notre effort – l'effort vrai; notre réconciliation avec Dieu – l'authentique réconciliation.

[Extrait de "The Great Lent" ("Le Grand Carême")
, par feu le protopresbytre Alexander Schmemann, SVS Press]
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